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jeudi 25 juin 2009

Les ismaéliens nizaris et le nationalisme iranien

Archer turc, peinture ottomane du XIVe siècle

La société iranienne était essentiellement composée de Turcs, de Persans et d’Arabes. Les émirs et une grande partie de l’armée étaient Turcs, le personnel de l’administration était Persans ou Arabes. Tout en bas de l'échelle, on trouvait les Mamelouks (« esclaves »), ces esclaves d'origines diverses (en Asie mineure, ils seront essentiellement d’origine slave, d’ailleurs le mot « esclaves » vient de « slaves ») qui occupaient des postes dans l’armée ou dans l’administration. Ils avaient la possibilité de gravir les échelons et de devenir propriétaires. En Egypte, ces Mamelouks vont acquérir une telle prédominance et pouvoir dans la société qu’ils formeront une dynastie à part entière et régneront sur le pays du XIIIe siècle au XVIème siècle.

L'un des aspects les plus remarquables de la culture iranienne est la capacité que celle-ci a eue d'absorber les envahisseurs étrangers tout au long de son histoire et de les "iraniser". Ainsi, les turcs seldjoukides en arrivant en Iran réalisèrent qu'ils entraient dans un pays au passé historique riche et ancien et de surcroît particulièrement bien organisé. Aussi, gardèrent-ils les structures administratives en place et laissèrent le soin de les gérer aux iraniens eux-mêmes. Au contact de leurs sujets iraniens, les seldjoukides adopteront la culture iranienne comme le feront d'ailleurs les mongols qui les suivront. Il faut rappeler que les Safavides qui s'installeront au pouvoir en Iran en 1501 et imposeront le chiisme dans le pays étaient des turcs. L'Iran connaîtra sous les Safavides une épanouissement culturel sans précédent dans le domaine des arts et des lettres.

Les Turcs, en revanche, étaient considérés par leurs sujets Persans et Arabes comme des rustres, des individus grossiers et barbares, sortis tout droit de leurs steppes, plus doués pour les arts militaires que pour les lettres et les sciences. Firdousi dans son œuvre épique le Livre des Rois présente les Iraniens et les Turcs comme deux groupes antagonistes, « deux éléments distincts comme le feu et l’eau, qui portent l’un envers l’autre une haine enracinée au plus profond de leur cœur » (page 4, camb hist of iran, vol 5). Pour André Miquel, « c’est dans la lutte entre Iran et Touran (le monde nomade de l’Asie centrale) que le Livre des Rois trouve un de ses thèmes majeurs. » (p. 177). Et paradoxalement, c’est à son protecteur Mahmud de Ghazni, un turc, que Firdousi offrira son livre. Hasan Sabbah quant à lui n’était pas loin de considérer les Turcs comme des êtres plus proches des djinns que des hommes. Les iraniens acceptaient mal cette domination de leur pays par des étrangers sans culture. Et certains historiens estiment qu’une bonne partie du succès du prosélytisme ismaélien repose sur le nationalisme des Iraniens qui rejoignirent les rangs de Hasan Sabbah afin de combattre plus efficacement les Turcs. Les Nizaris constituèrent durant la domination seldjoukide le seul groupe iranien porteur d’une véritable dynamique et d'une réelle force de frappe contre la suprématie turque. Aussi, de nombreux historiens parlent de révolte pour évoquer l'offensive ismaélienne qui eut lieu en 1091 dans le Quhestan. Cette dynamique de résistance à l’envahisseur allait ainsi de pair avec une démarche nationaliste et identitaire de la part des ismaéliens. Le choix de l'utilisation de la langue persane par les ismaéliens est particulièrement révélateur de cette démarche nationaliste. Certes les Samanides et les Ghaznévides avaient déjà précédé de quelques décennies les Ismailiens dans la promotion de la langue persane, probablement parce que les souverains de cette dynastie maîtrisaient mal l’arabe et voulaient également s’appuyer sur le nationalisme de leurs sujets iraniens face au monde arabe, mais néanmoins ils gardèrent toujours l'arabe comme langue de religion et du droit islamique. La littérature ismaélienne rédigée à l'époque d'Alamut est exclusivement en Persan. Déjà, le grand philosophe ismaélien Naser-e Khusraw avait rédigé toute son œuvre philosophique et poétique en persan. Et fait sans précédent dans l'histoire islamique, la communauté ismaélienne sera la première à utiliser le persan également dans la rédaction d'ouvrages religieux et dans les prônes religieux.

Ainsi, à une simple opposition sunnite / shi’ite habituellement évoquée par les historiens pour expliquer la nature des conflits entre les Ismaéliens et leurs opposants, il convient également d’ajouter une autre opposition, celle éthnique entre Turcs et Persans, toute aussi importante et pertinente, pour appréhender la nature du conflit et de la résistance ismaélienne.

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