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jeudi 25 juin 2009

La Da'wa ismaélienne et ses succès

C'est sur le site d'Ikjan, situé près de la ville de Sétif, dans la région des Hauts-Plateaux de l'Algérie, que l'ismaélisme connut le succès le plus éclatant au début du Xe siècle grâce au soutien apporté par les berbères Kutama au missionnaire Abu Abd Allah al-Shi'i

Durant la période de clandestinité des Imams, entre 765 et 909, on voit un intense prosélytisme ismaélien se mettre en place et se développer dans le monde musulman. Ce prosélytisme est appelé la Da'wa, un terme qui signifie "appel", "invitation", "convocation". Le mot "Da'wa" a été utilisé par de nombreux mouvements politiques et religieux dans le monde musulman. Ainsi les Abbassides aussi utilisèrent ce terme pour qualifier leur mouvement révolutionnaire, mais à aucun autre mouvement ce terme ne fut attaché de manière plus étroite qu'à l'ismaélisme. Aussi, l'ismaélisme est parfois désigné dans les textes de l'époque de Da'wa tout simplement.

C’est au nom de Muhammad bin Ismaël et dans une attente messianique de son apparition imminente en tant que Mahdi que la Da’wa était propagée par les da'is, les missionnaires ismaéliens La Da’wa connaîtra un succès extraordinaire. Des da’is, envoyés aux quatre coins du monde islamique réussiront à convertir des régions entières à la cause ismaélienne, et pénétrer toutes les couches de la société, des princes aux paysans en passant par les marchands, les militaires et les lettrés. L’Ismaélisme produira ses premières grandes œuvres philosophiques sous la plume de savants tels que Abu Ya’qub Sejestani, l'un des premiers penseurs musulmans néo-platoniciens, Abu Hatim ar-Razi, l'un des plus grands philologues arabes, auteur d’un commentaire du Coran, et célèbre aussi pour la polémique qui l’opposa au médecin Zakariya ar-Razi. L’ismaélisme marquera également fortement le groupe des Ikhwan as-Safa (les Frères de la Pureté), si tant est qu'ils n'étaient pas ismaéliens eux-mêmes, qui rédigera la première encyclopédie en Islam récapitulant la somme des connaissances dans les différents champs du savoir avec comme objectif avoué de concilier la religion et la philosophie, la foi et la raison. Cette encyclopédie constituée d’épîtres publiés anonymement afin d’échapper aux persécutions fut largement diffusée dans les librairies et connut un immense succès dans le monde islamique.

Deux messages essentiels étaient véhiculés par les da'is ismaéliens. Le premier était d'ordre spirituel. Il insistait sur la dimension ésotérique de la Révélation islamique. Le sens apparent (zahir) du texte coranique avait un sens caché (batin). Cette notion de zahir / batin constitue un des leitmotiv de l'ismaélisme à travers toute son histoire. Aussi, les ismaéliens étaient également appelés les Batinis, les ésotéristes, et l'ismaélisme qualifié de Batiniyya, la communauté des ésotéristes. Dans le Coran, au verset 30, 24, la da'wa est l'appel lancé par Dieu aux morts pour les faire sortir de la tombe au jour du jugement dernier. La Da'wa ismaélienne se voulait un appel à la résurrection spirituelle des hommes sous la direction de l'Imam. Celui-ci étant dépositaire de tous les sens cachés du Coran, pouvait par son herméneutique (tawil) des textes sacrés conduire les fidèles à leur résurrection spirituelle. L'Imam est le Résurrecteur par excellence. Il est le Guide spirituel dont la reconnaissance de l'autorité équivaut à prendre place à bord de l'Arche de Noé. Celui qui reconnait l'autorité de l'Imam et le prend pour Guide est sauvé du déluge de l'ignorance. Entrer dans la communauté ismaélienne, c'est entendre l'appel de Dieu et s'embarquer sur cet Arche qui sauva ses occupants de la noyade et les conduisit sain et sauf à bon port. Le deuxième message était d'ordre social et politique. Il affirmait que la manifestation de Muhammad bin Ismaël en tant que Mahdi était imminente et que son règne allait instaurer une société de justice et de paix. Louis Massignon définit ce prosélytisme ismaélien comme "l'ample mouvement de réforme et de justice sociales qui a ébranlé tout le monde musulman au IXe siècle de notre ère."

Le quartier général de la Da'wa ismaélienne se trouvait à Salamiya où s'étaient installés Muhammad bin Ismaël et ses descendants. Sans une direction active, structurée et organisée à sa tête, la Da’wa n’aurait pu, en aucun cas, rencontrer le succès qu’elle connut. Il est clair que durant cette période de clandestinité, des chefs reconnus, dont l’autorité ne portait pas à caution, dirigeaient la Mission au nom de Muhammad bin Ismaël. La Da'wa fut organisée en un système hiérarchisé dont les différents membres occupaient des rangs différents en fonction de leur engagement pour la cause ismaélienne et leur niveau de connaissance. Cette hiérarchie devint l'une des caractéristiques principales de l'ismaélisme au point que la communauté se désignait elle-même comme "les gens de la hiérarchie", les Ahl al-tarattub. Néanmoins, on ne peut établir un système hiérarchique fixe avec un nombre déterminé de degrés ni de dénominations fixes pour chacun de ces degrés qui serait valable pour toutes les périodes de l'histoire ismaélienne. Nous savons que la Da'wa était organisée hiérarchiquement, mais il est impossible d'établir un schéma fixe, sans doute parce que cette hiérarchie a varié en fonction des temps et des lieux pour s'adapter aux problématiques du terrain. Néanmoins, nous pouvons représenter la Da'wa sous une forme pyramidale. A la base, nous trouvons les mustajibs, les aspirants, c'est à dire les nouveaux convertis. Au-dessus d'eux viennent les madhun qui ont une ancienneté plus longue dans la Da'wa, suivent un enseignement spécifique et ont reçu l'autorisation de prêcher aux mustajibs. Les missionnaires quant à eux ont pour mission non seulement de répandre la bonne parole et de convertir mais également de gérer les affaires courantes de la communauté locale dont ils ont la charge. Les da'is opéraient à l'intérieur d'une zone géographique délimitée appelée "djazira" ou "ile". La djariza avait à sa tête un Da'i al-du'at ou Da'i des da'is, également appelé Hujjat (Représentant de l'Imam) qui coordonnait les activités des missionnaires placés sous sa responsabilité. A l'époque fatimide, la Da'wa compta jusqu'à douze djazira. Les douze Da'is al-du'at étaient supervisés par un Hojjat ou Représentant de l'Imam qui était en lien direct avec celui-ci duquel il recevait ses instructions. L'Imam était au sommet de la pyramide. Chaque rang inférieur recevait du rang supérieur sa connaissance spirituelle. Un système philosophique basé sur le chiffre 7, comme les sept Imams de Ali à Muhammad bin Ismaél, fut élaboré par les penseurs ismaéliens pour véhiculer le message de la Da'wa et annoncer l’avènement du Mahdi. Aussi, les ismaéliens furent appelés les Septimains, ceux dont la lignée des Imams comporte sept Imams en tout. Cette appellation est restée faussement encore de nos jours pour désigner les Ismaéliens. Car, après la période de clandestinité, lorsque les Imams réapparurent au grand jour, ils continuèrent la lignée des Imams, et renvoyèrent le chiffre 7 à une dimension uniquement philosophique où même là il finit par tomber en désuétude.

Le da'i dans sa stratégie d'implantation de la Da'wa dans une région devait s'inspirer des événements historiques de la vie du Prophète. Devant les persécutions que Muhammad subissait à La Mecque, il quitta cette ville inique et émigra à Médine où il instaura une communauté des croyants (Umma) basée et régie selon les lois de Dieu. Ce départ du Prophète vers Médine est appelé "l'émigration" (l'hégire) et marque le début de l'ère islamique. Médine devint un Dar al-Hijra ("un lieu d'émigration" ou "un lieu d'asile") pour tous les croyants qui y trouvaient un asile où ils pouvaient pratiquer librement et sereinement leur foi. De ce Dar al-Hijra, le Prophète repoussa les attaques des mecquois, puis le temps venu passa lui-même à l'offensive, vainquit ses ennemis et entra triomphalement à La Mecque. Ces événements historiques de la première communauté islamique constituèrent une source d'inspiration pour toutes les minorités en Islam qui étaient victimes de persécutions. Elles tentaient alors de reproduire ces événements dans l'espoir que cette stratégie éprouvée par le Prophète les mènerait également à la victoire militaire contre leurs agresseurs. C'est ainsi que procéda le da'i Ibn Hawshab lorsqu'il arriva au Yémen en 881. Il réussit à convertir les tribus bédouines du Djebel Maswar et établit en ce lieu son Dar al-Hijra. De cette localité montagneuses, il envoya des da'is dans tout le Yémen, conclut des alliances avec les tribus favorables à sa prédication puis vainquit les tribus hostiles à la Da’wa. En une dizaine d'année, il conquit tout le Yémen et fut reconnu par le surnom honorifique de Mansur al-Yaman, le « Victorieux du Yémen ». En 892, il envoya le da’i Abu Abdallah al-Shi’i en Ifriqiya (Tunisie, Algérie orientale, Tripolitaine occidentale), à Ikjan, une petite citadelle située dans une région montagneuse reculée de la petite Kabylie où la Da’wa rencontrait un écho favorable auprès des berbères de la tribu des Kutama. Abu Abdallah établit à Ikjan son Dar al-Hijra et réussit à convertir de nombreux notables de la tribu des Kutama, ce qui lui assura un large succès auprès des membres de cette tribu. Les Kutama devinrent même les fers de lance de la victoire ismaélienne en Afrique du Nord, ce qui leur valut d’être comparés dans les prônes des Imams aux Ansars, ces médinois qui aidèrent le Prophète dans sa mission. L'influence grandissante d'Abu Abdallah dans la région ne manqua pas d’attirer sur lui la jalousie des tribus voisines et l’attention des autorités locales. L’Ifriqiya était alors gouvernée par la dynastie des Aghlabides établie à Raqqada, près de Kairouan. Ses souverains par une mauvaise gestion de la province et un comportement cruel s’étaient rendus impopulaires dans la population. Le succès des ismaéliens auprès des berbères est également dû au nationalisme de ces tribus hostiles à la domination arabe et sunnite incarnée par les Aghlabides. Abu Abdallah sut avec une grande habilité et intelligence tirer parti de ces facteurs géopolitiques. De plus, les victoires qu’il remporta contre les forces coalisées des tribus rivales et des Aghlabides accrurent davantage son prestige dans la région.

Pendant ce temps, en 899, un certain Ubayd Allah, installé à Salamiya et reconnu comme le chef de la Da'wa, revendiqua publiquement l'Imamat pour lui et affirma être le descendant de Muhammad bin Ismaël et le Mahdi attendu. Cette proclamation met fin à la période de clandestinité. L'Imam est à nouveau apparent aux yeux des fidèles et du monde. L'Imamat d'Ubayd Allah fut reconnu par la Da'wa dans son ensemble, à l'exception d'un groupe mené par Hamdan Qarmat qui refusa de le reconnaître et fit sécession. Ce groupe fut appelé les qarmatis. Il réussit à s'implanter puissamment dans la région de Bahrein d'où il lança des expéditions meurtrières contre les ismaéliens et les sunnites. Leurs exactions contribuèrent pour une bonne part à la construction du roman noir autour des ismaéliens. Ainsi, en 930, ils pénétrèrent à La Mecque durant la période du pèlerinage et massacrèrent impitoyablement les pèlerins et les habitants de la ville sainte. Ils subtilisèrent même la Pierre noire enchâssée dans la Kaaba et ne la restituèrent que vingt ans plus tard en 950 sous la pression des Fatimides et contre une forte rançon versée par les Abbassides. Leur puissance ne fut brisée qu'en 978 lorsque l'Imam et Calife fatimide al-Muizz leur infligea une défaite cuisante.

Peu après l'annonce de son Imamat, la situation devint critique pour Ubayd Allah. Il eut à ses trousses d'un côté les Abbassides et de l'autre les qarmatis qui voulaient s'emparer de lui et ne cessaient de se rapprocher de Salamiya. Ubayd Allah résolut alors de quitter la ville et se mit en route pour le Yémen où Mansur al-Yaman le priait instamment de venir le rejoindre et de prendre le commandement du pays. Chemin faisant, l'Imam apprit que la faction dissidente de Hamdan Qarmat venait de dévaster Salamiya et avait tué de nombreux membres de sa famille. Elle semait également des troubles en Arabie et pillait les caravanes sur le chemin de La Mecque, le même qu'empruntent les voyageurs pour se rendre au Yémen à partir de la Syrie. De plus, l'Imam est trahi par l'un de ses membres les plus fidèles de sa garde rapprochée qui le quitte et se rend au Yémen où il monte une rébellion contre son ancien maître. Face à cette situation, Ubayd Allah prend la décision de se rendre en Ifriqiya auprès d'Abu Abdallah dont il reçoit des nouvelles optimistes quant à l'implantation de la Da'wa dans la région.

Tout au long de la route, l'Imam voyage déguisé en riche marchand se déplaçant pour les besoins de ses affaires commerciales. C'est après un périple long et mouvementé qu'il arrive à Tripoli où il apprend que suite à l'agitation militaire en Kabylie, la route a été barrée par les autorités aghlabides qui avaient eu vent de renforts d'agitateurs venant pour épauler Abu Abdallah dans sa mission. L'Imam alors prend le chemin du sud en direction du Maghreb occidental et arrive à Sigilmasa en 905. L'Imam y séjournera jusqu'en 910.

Pendant ce temps, Abu Abdallah poursuit avec succès sa mission. Il devient suffisamment fort pour passer à l'offensive. Il inflige plusieurs défaites cuisantes à l'armée aghlabide, et en 909, arrive aux portes de Raqqada. L'émir aghlabide, Ziyadat Allah III, estimant la partie perdue, s'enfuit en abandonnant sa capitale. Après un labeur long et acharné de près de 20 ans, le da'i Abu Abdallah entre triomphalement à Raqqada en mars 909. Après avoir pris les dispositions nécessaires pour régler les affaires courantes de l'Etat, le da'i se met en route pour Sigilmasa où l'Imam a été démasqué et fait prisonnier par le gouverneur de la ville qui l'a mit en résidence surveillée. Abu Abdallah se présente devant la ville à la tête d'une imposante armée berbère et demande la libération de son maître. Il fait encercler toute la ville et promet la vie sauve au gouverneur en échange de la libération de l'Imam. Comprenant que la partie est perdue, le gouverneur après des négociations d'usage s'incline devant le da'i et fait libérer Ubayd Allah. Le da'i, les yeux remplis de larmes se précite vers son maître et tombe en prosternation à ses pieds. L'Imam le relève, le congratule et lui donne ses bénédictions. Se tournant alors vers l'armée, Abu Abdallah présente leur présente le Mahdi attendu : "Voici mon Seigneur et votre Seigneur, le Seigneur de tous les hommes." En janvier 910, l'Imam arrive à Raqqada. Il se proclame Calife, prend al-Mahdi comme nom de règne et celui de Fatimides pour sa dynastie, en référence à Fatima, la fille du Prophète, afin d'affirmer sa descendance directe du Prophète.

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