Durant la période de clandestinité des Imams, entre 765 et 909, on voit un intense prosélytisme ismaélien se mettre en place et se développer dans le monde musulman. Ce prosélytisme est appelé la Da'wa, un terme qui signifie "appel", "invitation", "convocation". Le mot "Da'wa" a été utilisé par de nombreux mouvements politiques et religieux dans le monde musulman. Ainsi les Abbassides aussi utilisèrent ce terme pour qualifier leur mouvement révolutionnaire, mais à aucun autre mouvement ce terme ne fut attaché de manière plus étroite qu'à l'ismaélisme. Aussi, l'ismaélisme est parfois désigné dans les textes de l'époque de Da'wa tout simplement.
C’est au nom de Muhammad bin Ismaël et dans une attente messianique de son apparition imminente en tant que Mahdi que la Da’wa était propagée par les da'is, les missionnaires ismaéliens La Da’wa connaîtra un succès extraordinaire. Des da’is, envoyés aux quatre coins du monde islamique réussiront à convertir des régions entières à la cause ismaélienne, et pénétrer toutes les couches de la société, des princes aux paysans en passant par les marchands, les militaires et les lettrés. L’Ismaélisme produira ses premières grandes œuvres philosophiques sous la plume de savants tels que Abu Ya’qub Sejestani, l'un des premiers penseurs musulmans néo-platoniciens, Abu Hatim ar-Razi, l'un des plus grands philologues arabes, auteur d’un commentaire du Coran, et célèbre aussi pour la polémique qui l’opposa au médecin Zakariya ar-Razi. L’ismaélisme marquera également fortement le groupe des Ikhwan as-Safa (les Frères de la Pureté), si tant est qu'ils n'étaient pas ismaéliens eux-mêmes, qui rédigera la première encyclopédie en Islam récapitulant la somme des connaissances dans les différents champs du savoir avec comme objectif avoué de concilier la religion et la philosophie, la foi et la raison. Cette encyclopédie constituée d’épîtres publiés anonymement afin d’échapper aux persécutions fut largement diffusée dans les librairies et connut un immense succès dans le monde islamique.
Deux messages essentiels étaient véhiculés par les da'is ismaéliens. Le premier était d'ordre spirituel. Il insistait sur la dimension ésotérique de la Révélation islamique. Le sens apparent (zahir) du texte coranique avait un sens caché (batin). Cette notion de zahir / batin constitue un des leitmotiv de l'ismaélisme à travers toute son histoire. Aussi, les ismaéliens étaient également appelés les Batinis, les ésotéristes, et l'ismaélisme qualifié de Batiniyya, la communauté des ésotéristes. Dans le Coran, au verset 30, 24, la da'wa est l'appel lancé par Dieu aux morts pour les faire sortir de la tombe au jour du jugement dernier. La Da'wa ismaélienne se voulait un appel à la résurrection spirituelle des hommes sous la direction de l'Imam. Celui-ci étant dépositaire de tous les sens cachés du Coran, pouvait par son herméneutique (tawil) des textes sacrés conduire les fidèles à leur résurrection spirituelle. L'Imam est le Résurrecteur par excellence. Il est le Guide spirituel dont la reconnaissance de l'autorité équivaut à prendre place à bord de l'Arche de Noé. Celui qui reconnait l'autorité de l'Imam et le prend pour Guide est sauvé du déluge de l'ignorance. Entrer dans la communauté ismaélienne, c'est entendre l'appel de Dieu et s'embarquer sur cet Arche qui sauva ses occupants de la noyade et les conduisit sain et sauf à bon port. Le deuxième message était d'ordre social et politique. Il affirmait que la manifestation de Muhammad bin Ismaël en tant que Mahdi était imminente et que son règne allait instaurer une société de justice et de paix. Louis Massignon définit ce prosélytisme ismaélien comme "l'ample mouvement de réforme et de justice sociales qui a ébranlé tout le monde musulman au IXe siècle de notre ère."
Le quartier général de la Da'wa ismaélienne se trouvait à Salamiya où s'étaient installés Muhammad bin Ismaël et ses descendants. Sans une direction active, structurée et organisée à sa tête, la Da’wa n’aurait pu, en aucun cas, rencontrer le succès qu’elle connut. Il est clair que durant cette période de clandestinité, des chefs reconnus, dont l’autorité ne portait pas à caution, dirigeaient la Mission au nom de Muhammad bin Ismaël. La Da'wa fut organisée en un système hiérarchisé dont les différents membres occupaient des rangs différents en fonction de leur engagement pour la cause ismaélienne et leur niveau de connaissance. Cette hiérarchie devint l'une des caractéristiques principales de l'ismaélisme au point que la communauté se désignait elle-même comme "les gens de la hiérarchie", les Ahl al-tarattub. Néanmoins, on ne peut établir un système hiérarchique fixe avec un nombre déterminé de degrés ni de dénominations fixes pour chacun de ces degrés qui serait valable pour toutes les périodes de l'histoire ismaélienne. Nous savons que la Da'wa était organisée hiérarchiquement, mais il est impossible d'établir un schéma fixe, sans doute parce que cette hiérarchie a varié en fonction des temps et des lieux pour s'adapter aux problématiques du terrain. Néanmoins, nous pouvons représenter la Da'wa sous une forme pyramidale. A la base, nous trouvons les mustajibs, les aspirants, c'est à dire les nouveaux convertis. Au-dessus d'eux viennent les madhun qui ont une ancienneté plus longue dans la Da'wa, suivent un enseignement spécifique et ont reçu l'autorisation de prêcher aux mustajibs. Les missionnaires quant à eux ont pour mission non seulement de répandre la bonne parole et de convertir mais également de gérer les affaires courantes de la communauté locale dont ils ont la charge. Les da'is opéraient à l'intérieur d'une zone géographique délimitée appelée "djazira" ou "ile". La djariza avait à sa tête un Da'i al-du'at ou Da'i des da'is, également appelé Hujjat (Représentant de l'Imam) qui coordonnait les activités des missionnaires placés sous sa responsabilité. A l'époque fatimide, la Da'wa compta jusqu'à douze djazira. Les douze Da'is al-du'at étaient supervisés par un Hojjat ou Représentant de l'Imam qui était en lien direct avec celui-ci duquel il recevait ses instructions. L'Imam était au sommet de la pyramide. Chaque rang inférieur recevait du rang supérieur sa connaissance spirituelle. Un système philosophique basé sur le chiffre 7, comme les sept Imams de Ali à Muhammad bin Ismaél, fut élaboré par les penseurs ismaéliens pour véhiculer le message de la Da'wa et annoncer l’avènement du Mahdi. Aussi, les ismaéliens furent appelés les Septimains, ceux dont la lignée des Imams comporte sept Imams en tout. Cette appellation est restée faussement encore de nos jours pour désigner les Ismaéliens. Car, après la période de clandestinité, lorsque les Imams réapparurent au grand jour, ils continuèrent la lignée des Imams, et renvoyèrent le chiffre 7 à une dimension uniquement philosophique où même là il finit par tomber en désuétude.
Pendant ce temps, en 899, un certain Ubayd Allah, installé à Salamiya et reconnu comme le chef de la Da'wa, revendiqua publiquement l'Imamat pour lui et affirma être le descendant de Muhammad bin Ismaël et le Mahdi attendu. Cette proclamation met fin à la période de clandestinité. L'Imam est à nouveau apparent aux yeux des fidèles et du monde. L'Imamat d'Ubayd Allah fut reconnu par la Da'wa dans son ensemble, à l'exception d'un groupe mené par Hamdan Qarmat qui refusa de le reconnaître et fit sécession. Ce groupe fut appelé les qarmatis. Il réussit à s'implanter puissamment dans la région de Bahrein d'où il lança des expéditions meurtrières contre les ismaéliens et les sunnites. Leurs exactions contribuèrent pour une bonne part à la construction du roman noir autour des ismaéliens. Ainsi, en 930, ils pénétrèrent à La Mecque durant la période du pèlerinage et massacrèrent impitoyablement les pèlerins et les habitants de la ville sainte. Ils subtilisèrent même la Pierre noire enchâssée dans la Kaaba et ne la restituèrent que vingt ans plus tard en 950 sous la pression des Fatimides et contre une forte rançon versée par les Abbassides. Leur puissance ne fut brisée qu'en 978 lorsque l'Imam et Calife fatimide al-Muizz leur infligea une défaite cuisante.
Peu après l'annonce de son Imamat, la situation devint critique pour Ubayd Allah. Il eut à ses trousses d'un côté les Abbassides et de l'autre les qarmatis qui voulaient s'emparer de lui et ne cessaient de se rapprocher de Salamiya. Ubayd Allah résolut alors de quitter la ville et se mit en route pour le Yémen où Mansur al-Yaman le priait instamment de venir le rejoindre et de prendre le commandement du pays. Chemin faisant, l'Imam apprit que la faction dissidente de Hamdan Qarmat venait de dévaster Salamiya et avait tué de nombreux membres de sa famille. Elle semait également des troubles en Arabie et pillait les caravanes sur le chemin de La Mecque, le même qu'empruntent les voyageurs pour se rendre au Yémen à partir de la Syrie. De plus, l'Imam est trahi par l'un de ses membres les plus fidèles de sa garde rapprochée qui le quitte et se rend au Yémen où il monte une rébellion contre son ancien maître. Face à cette situation, Ubayd Allah prend la décision de se rendre en Ifriqiya auprès d'Abu Abdallah dont il reçoit des nouvelles optimistes quant à l'implantation de la Da'wa dans la région.
Tout au long de la route, l'Imam voyage déguisé en riche marchand se déplaçant pour les besoins de ses affaires commerciales. C'est après un périple long et mouvementé qu'il arrive à Tripoli où il apprend que suite à l'agitation militaire en Kabylie, la route a été barrée par les autorités aghlabides qui avaient eu vent de renforts d'agitateurs venant pour épauler Abu Abdallah dans sa mission. L'Imam alors prend le chemin du sud en direction du Maghreb occidental et arrive à Sigilmasa en 905. L'Imam y séjournera jusqu'en 910.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire