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jeudi 25 juin 2009

Les Fatimides


La période fatimide constitue l'âge d'or de l'histoire ismaélienne. A l'apogée de sa puissance, le pouvoir fatimide s'étendait sur toute l'Afrique du Nord, le Hedjaz avec les villes saintes de La Mecque et Médine, le Yémen, la Syrie, la Palestine, la Sicile et la Sardaigne. Le califat fatimide connut une propérité économique éclatante avec Le Caire qui devint l'une des plus importantes villes du monde musulman et le carrefour des voies commerciales. Les fatimides développèrent également les routes maritimes reliant le Yémen à l'Inde; Ce commerce maritime permit à l'ismaélisme de s'implanter dans le sous-continent indien. Enfin, au niveau artistique et intellectuel, Le Caire avec les centres d'enseignement d'al-Azhar et du Dar al-Hikma devint l'un des principaux centres intellectuels du monde musulman. D'une manière générale, le Xe siècle constitue l'âge d'or du monde musulman et Louis Massignon fait remarquer que ce Xe siècle fut le siècle ismaélien de l'Islam. A Bagdad aussi, c'est le chiisme qui triomphe avec l'arrivée au pouvoir de la dynastie des Bouyides en 945 et met sous tutelle le Calife abbasside. Les Bouyides vont donner à la culture une impulsion sans précédent en Islam avec notamment le développement de l'adab, cette somme de connaissance que tout "honnête homme" dans le sens de la philosophie des Lumières se devait de connaître.

On distingue deux périodes essentielles dans l'histoire fatimide : la période maghrébine et la période égyptienne.

LA PERIODE MAGHREBINE

La période maghrébine débute avec l'instauration du Califat fatimide en janvier 910 à Raqqada et elle se termine avec l'installation en 973 des Califes fatimides au Caire.

Les débuts de la période maghrébine sont marqués par la consolidation du pouvoir fatimide sur le Maghreb sous le règne des Imams-Calife al-Mahdi, al-Qa'im et al-Mansur.

Al-Mahdi, peu de temps après son accession au pouvoir, doit faire face à une situation quasi insurrectionnelle. D'une part, il est confronté à la trahison de son da'i Abu Abdallah al-Shi'i qui se soulève contre lui à l'instigation de son frère Abu-l-Abbas frustré d'avoir eu à remettre le pouvoir à l'Imam. Les deux frères entraînent dans leur sillage certaines tribus Kutama restées attachées à leur da'i par des liens de fidèlité remontant à plus de vingt ans. Une conspiration en vue de faire assassiner l'Imam est même montée par les révoltés. Mais le complot est déjoué, et le da'i et son frère tombent dans une ambuscade et périssent assassinés par des berbères qu'Abu Abdallah avait lui-même convertis. D'autre part, al-Mahdi est confronté au soulèvement des populations arabes qui acceptant mal d'être gouvernées par une éthnie minoritaire et méprisée, rejettent l'autorité de cette dernière et massacrent ses représentants et ses garnisons dans plusieurs villes du Maghreb telle que Tripoli. Face à cette situation extrêmement critique pour la nouvelle dynastie, al-Mahdi réagit d'une manière énergique. Il nomme son fils Abu-l-Qasim héritier du trône, affirmant ainsi sa détermination à perpétuer la dynastie. Il le nomme également Général de l'armée fatimide et lui confie la tâche de mâter l'insurrection et de rétablir l'ordre. Enfin, il choisit de s'éloigner de Raqqada située trop près des lieux d'agitation, et fonde une nouvelle capitale, Mahdia, sur la pénisule de Jumma dont il fait fortifier le passage la reliant au continent. Mahdia est également ceinturée de fortifications.

Abu-l-Qasim, l'héritier du trône, en dépit de son jeune âge et de son manque d'expérience dans le domaine militaire, se révèle à la hauteur de la tâche confiée. A la tête de son armée composée de tribus Kutama restées fidèles à l'Imamat, il parcourt inlassablement le Maghreb de long en large, livre de multiples batailles et parvient à réprimer les révoltes et à rétablir l'autorité des Fatimides sur le Maghreb. Fort de son succès, il lance deux attaques contre l'Egypte en 915 et en 920, et parvient à s'emparer d'Alexandrie. Mais le Calife abbasside envoie des renforts importants pour soutenir Fustat, la capitale de l'Egypte. Le conflit s'enlise alors dans la durée, et l'armée fatimide, trop éloignée de ses bases et manquant de ressources, doit se replier sur le Maghreb.

A la mort d'al-Mahdi, Abu-l-Qasim accède au trône et prend pour nom de règne al-Qa'im bi Amr Allah. Son Imamat-Califat est marqué par la stabilité politique et la paix. Il lance une troisième campagne contre l'Egypte qui échoue également devant Fustat. Son règne est assombri durant les deux dernières années de sa vie par une importante révolte menée par le kharidjite Abu Yazid, surnommé "l'homme à l'âne". La progression d'Abu Yazid est foudroyante. Il enlève successivement les principales villes situées sur la route de Mahdia, parmi lesquelles Kairouan, et met le siège devant la capitale fatimide en 945. Al-Qa'im organise la résistance de Mahdia et parvient à briser les assauts violents des assiégeants contre les murs de la capitale. Abu Yazid doit finalement se replier. Il s'enfuit dans les montagnes de l'Aurès avec l'armée fatimide à sa poursuite et décime son son arrière-garde. Le Califat fatimide fut à deux doigts d'être emporté par la révolte d'Abu Yazid.

Al-Qa'im meurt en 946, peu après la déroute d'Abu Yazid. C'est son fils Ismaël qui accède à l'Imamat et au Califat. Face à la menace d'Abu Yazid toujours présente, Ismaël garde secrète la mort de son père et part en campagne contre le rebelle kharidjite. La figure d'Ismaël brille d'un éclat sans pareil dans la longue liste des Califes, toutes dynasties confondues. Les chroniqueurs, tant sunnites que chiites, s'accordent pour le présenter comme un homme doté d'un courage exemplaire, n'hésitant pas à payer de sa personne lors des campagnes militaires et chargeant sabre au clair les troupes ennemies à la tête de son armée. Les chroniqueurs relatent avec admiration ses hauts faits de guerre et la ténacité avec laquelle il poursuivit Abu Yazid durant de longs mois dans les montagnes de l'Aurès, partageant la rude vie de ses soldats, mais également prenant occasionnellement le temps pour aller visiter une ruine antique. Il infligea des revers cuisants à "l'homme à l'âne", réussit finalement à le capturer et le ramena prisonnier à Mahdia. Il dévoila alors la mort de son père et accéda au trône en prenant le nom d'al-Mansur bi-Llah (le Victorieux). Il s'attela aussitôt a redresser la situation économique et financière de son Etat très éprouvé par la guerre et les dévastations. Il fonda également une nouvelle capitale, al-Mansuriyya. Passionné par les études et les lettres, il écrivit plusieurs traités philosophiques et composa des poèmes de belle facture. A sa mort, à l'âge précoce de quarante ans, il avait ramené la stabilité et la paix dans son Califat et redressé la situation économique de l'Etat.

C'est son fils Abu Tamim, âgé de vingt et un an, qui devient Imam-Calife sous le nom d'al-Mu'izz li-din Allah. Au début de son règne, c'est essentiellement le Califat ummayade de Cordoue qui focalisa son attention. Son règne coïncide avec celui d'Abd al-Malik III, l'un des plus grands souverains ummayade d'Andalousie. Al-Mu'izz s'empara du Maghreb extrême afin d'accentuer la pression sur Cordoue et de s'en servir comme tête de pont pour envahir l'Andalousie. Mais la menace byzantine et qarmate en Palestine l'emmena à reporter ses efforts vers l'est. Craignant une invasion qarmate en Egypte qui risquerait de menacer ensuite directement son Califat, al-Mu'izz choisit de devancer les qarmates dans la conquête de l'Egypte. Il mit sur le pied de guerre son armée et prépara soigneusement l'expédition militaire. Il confia le commandement des opérations au général Djawhar al-Siqilli qui s'était illustré dans la campagne militaire au Maghreb extrême. L'armée fatimide se mit en route pour l'Egypte et trois mois après son départ s'empara d'Alexandrie. Là, le général fatimide reçut une délégation de notables égyptiens venue à sa rencontre avec une offre de négociations. Depuis plusieurs années, l'Egypte était livrée à l'anarchie et à l'insécurité. Les notables du pays, redoutant une invasion des byzantins ou des qarmates et désespérés de ne voir aucun secours venir de Bagdad, choisirent de négocier avec les Fatimides. Les notables envoyèrent une délégation auprès de Djawhar un traité de capitulation garantissant à la population la sécurité des personnes et des biens. Selon les termes de ce traité, le général devait respecter la liberté de pratique religieuse des égyptiens, défendre le pays contre les périls qarmate et byzantin, restaurer la sécurité et améliorer la situation économique et sociale de l'Egypte. En juillet 969, le général Djawhar entra pacifiquement à Fustat et comme convenu accorda l'amnistie à la population égyptienne. Dans la foulée, il envoya une expédition militaire en Syrie qui sous la conduite de son lieutenant Ibn Falah réussit à s'emparer de Damas en 969. Les qarmates contre-attaquèrent et infligèrent une défaite cuisante à l'armée fatimide durant laquelle Ibn Falah fut tué. Ce revers ouvrit aux qarmates la route de l'Egypte. Djawhar, au lieu de partir à la rencontre des qarmates, choisit de se battre à Fustat et organisa la défense en faisant creuser des tranchées au pied de l'enceinte de la ville. Les assauts des qarmates se brisèrent contre les lignes de défense fatimides.Tenues en échec, les troupes qarmates se replièrent en Palestine. Jusqu'à l'arrivée de l'Imam-Calife, Djawhar gouverna l'Egypte en son nom, et suivant ses instructions, fonda une nouvelle capitale, al-Qahira (Le Caire).. Il ordonna la construction des palais sensés recevoir son maître, ainsi que d'une splendide mosquée, al-Azhar (la Lumineuse), ainsi nommée en référence à Fatima, la fille du Prophète, surnommée Zahra. En 973, al-Mu'izz arriva dans sa nouvelle capitale du Caire où il fut accueilli par une foule en liesse.

LA PERIODE EGYPTIENNE

L'Imam-Calife al-Aziz succèda à son père al-Mu'izz. Son règne fut marqué d'une part par une victoire écrasante des Fatimides sur les qarmates qui furent alors réduit à un groupuscule sans importance, et de l'autre par une intensification des conflits contre l'empire byzantin dans la région de la Palestine. C'est justement au cours d'une de ces campagnes militaires contre les byzantins qu'al-Aziz fut emporté prématurément par la maladie.

C'est son fils Abu Ali, âgé à peine de onze ans, qui devint Imam-Calife sous le nom d'al-Hakim bi Amr Allah. La figure de cet Imam-Calife est particulièrement sujette à controverse. Jusqu'aux années 1980, sa personnalité ne nous était connue que par des sources sunnites. Depuis, l'étude des sources chiites et une meilleure connaissance des enjeux géopolitiques de la région sont venus nuancer les traits de sa personnalité jugée excentrique et jeter une lumière nouvelle sur ses décisions politiques. En cela, les recherches menées par le Professeur Vatikiotis ont constitué un véritable travail de pionnier pour une meilleure compréhension du règne d'al-Hakim. C'est sous le règne d'al-Hakim que le pouvoir fatimide atteignit son apogée avec une extension territoriale maximale. L'autorité fatimide s'étendit sur toute l'Afrique du Nord, le Hedjaz, avec les villes saintes de Médine et de La Mecque, le Yémen, la Syrie, la Sicile et le sud de l'Italie. La flotte fatimide, quant à elle, établit sa suprématie sur toute la Méditerranée.

Durant les premières années du règne d'al-Hakim, le pouvoir appartint aux vizirs qui se livrèrent à des intrigues du pouvoir pour accéder à ce poste. De nombreuses mutineries éclatèrent dans l'armée qui fut déchirée par des luttes violentes entre les différents groupes éthniques en son sein : arabes, berbères, turcs, noirs... Au Maghreb, des gouverneurs locaux rejetaient l'autorité fatimide et affirmaient leurs velléités d'indépendances. En Syrie, l'empire byzantin accentua sa pression conquérante. L'Imam-Calife réagit en ordonnant la destruction de l'église du Saint-Sépulcre, objet de conquête des byzantins. Au Caire, les chrétiens, considérés comme la cinquième colonne des byzantins, furent pris à parti par les musulmans. Plus tard, al-Hakim fera reconstruire le Saint-Sépulcre et maintes autres églises chrétiennes détruites suite aux vicissitudes de la guerre. D'une manière générale, nous pouvons affirmer que la dynastie fatimide a fait preuve d'une très grande tolérance religieuse. Et c'est justement cette tolérance religieuse qui explique en partie le maintien au pouvoir de la dynastie fatimide pendant deux siècle dans un environnement essentiellement sunnite et chrétien. Les Fatimides, bien qu'étant chiites, regnèrent en ne mettant pas en avant leur spécificité religieuse afin de ne pas heurter les sunnites et créer des dissensions parmi leurs sujets. Les minorités religieuses bénéficièrent d'une promotion exceptionnelle durant leur règne, ceci sans doute dans le but de contrebalancer la prééminence sunnite dans la société égyptienne. Ainsi, à plusieurs reprises, des personnalités issues des minorités confessionnelles accédèrent aux postes les plus élevés de l'Etat, comme le juif Ya'qub ibn Killis qui fut le vizir d'al-Aziz. Marius Canard note à propos de cette tolérance religieuse : "La tolérance envers les chrétiens et les juifs est l'une des caractéristiques principales de la dynastie fatimide." De même, lorsque le prince sunnite de Shayzar, Oussama, dut quitter la Syrie pour des raisons politiques, il prit refuge en Egypte, et expliqua le choix de cette destination en écrivant dans son autobiographie : « Je pensais donc, en foulant le sol de l’Egypte, que mon expérience des choses syriennes n’y serait peut-être pas mal employée. Le seul obstacle qui pût me nuire était que j’appartenais à l’Islam sunnite. Mais on me savait, en ce domaine comme en tant d’autres, homme sage, ennemi des extrêmes de tous bords, et qui mettait plus haut que tout la justice, le bonheur et la paix de la communauté des musulmans, à quelque école qu’ils appartinssent. De leur côté, les Fatimides s’étaient presque toujours montrés des politiques avisés, assez en tout cas pour ne pas se priver des ressources d’un pays comme l’Egypte, foncièrement sunnite et riche, aussi, des talents de ses populations non musulmanes : copte, arménienne, juive… ». Les Fatimides se firent également les champions de l'Islam en marquant un coup d'arrêt à l'expansion byzantine et réussirent même à regagner des territoires sur eux. Al-Hakim fut acclamé à Bagdad même par la population pour ses victoires contre les byzantins qui conclurent finalement une trêve avec le Caire et s'engagèrent à lui verser un tribut annuel.

Al-Hakim fonda un centre d'enseignement, le Dar al-Hikma ("la Maison de la sagesse"), qui acquit une notoriété dans tout le monde islamique, notamment par l'importance de sa bibliothèque. L'Imam-Calife mourut lors d'une de ces promenades noctures dans les montagnes du Muqattam. On ne retrouva jamais son cadavre. Seuls des vêtements lui ayant appartenu furent retrouvés lardés de coups de couteaux. Un schisme se produisit dans la communauté ismaélienne. Un groupe de fidèles mené par le missionnaire al-Darazi divinisa l'Imam et refusa de reconnaître son successeur en affirmant qu'al-Hakim était monté au Ciel et qu'il reviendrait à la fin des temps pour sauver l'humanité. Les fidèles de ce mouvement furent appelés "darazi" (les Druzes) en référence à leur chef.

Al-Hakim fut succédé par l'Imam-Calife al-Zahir. Son règne constitue une ère de paix et de stabilité pour son Califat. Il disparut prématurément dans sa trentaine, et fut succédé par son fils al-Mustansir bi-Llah, âgé seulement de 9 ans. Le gouvernement de l'Etat fut livré aux mains des tuteurs qui se livrèrent à des intrigues et à une guerre d'influence sans merci pour contrôler le palais. Ces querelles affaiblirent considérablement l'autorité de l'Imam-Calife. De plus, des périodes de sécheresse particulièrement longues éprouvèrent l'Egypte au point que l'on vit des scènes d'anthropophagie à Fustat. L'armée fut également effroyablement déchirée par une guerre de factions entre les différentes éthnies. Les troupes, lors des périodes de sécheresse, se livrèrent au pillage et à toutes sortes d'éxactions au Caire. Al-Mustasir appela à la rescousse son gouverneur de Syrie, Badr al-Jamali, afin de restaurer l'ordre en Egypte. Celui-ci réussit à rétablir l'ordre au sein de l'armée et parvint à contenir le péril byzantin en Palestine. Il fit ceinturer Le Caire par une imposante muraille dont on peut admirer encore de nos jours les magnifiques portes d'entrée que sont Bab al-Nasr et Bab al-Futuh.

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