A partir de la mort de Husayn, ses successeurs, jusqu'à la mort de l'Imam Djafar al-Sadiq en 765, adoptèrent une attitude de quiétisme politique. Ils s'abstinrent d'apporter leur soutien aux nombreux mouvements insurrectionnels qui virent le jour pour défendre la cause des Alides ou venger la mort de Husayn. Le fils de Husayn qui avait échappé au massacre de Karbala, Ali, surnommé "Zayn al-Abidin" ("l'Ornement de dévots") mena une vie retirée et paisible à Médine. Il se consacra à l'enseignement du Coran et aux actes de dévotion. Aussi est-il également appelé "al-Sajjad", "Celui qui se prosterne". Il joua un rôle de premier plan en tant que traditionniste dans la collecte et la transmission des hadiths (Parole, Tradition du Prophète). Il faisait non seulement partie de la Famille du Prophète, mais avait côtoyé des personnes qui furent en contact direct avec Muhammad. Aussi, les paroles du Prophète qu'il pouvait rapporter faisait de lui une source inestimable en matière de fiabilité et de fidélité dans la transmission des hadiths. L'augmentation exponentielle du nombre des musulmans et la complexité des problèmes auxquelles ils pouvaient être confrontés sans trouver une réponse appropriée dans le Coran contraignirent les savants à se tourner vers la vie du Prophète afin de trouver des solutions adaptées aux problèmes rencontrés. Ainsi commença un vaste travail d'enquête concernant tous les aspects de la vie quotidienne du Prophète afin que ses faits et gestes soient consignés par écrit pour qu'ils servent d'exemples aux musulmans. Les croyants en reproduisant les gestes du Prophète seraient sûrs d'accomplir des actions agréées par Dieu. Les croyants effectuèrent cette démarche car le Coran leur propose le Prophète comme un modèle à suivre : "Vous avez dans le Prophète de Dieu un beau modèle (al-uswa al-husna) pour quiconque espère en Dieu et au Jour dernier et invoque Dieu fréquemment" (33, 21), ou encore "Et tu es certes d'une moralité éminente" (68, 4). Le recueil des Traditions avait également pour but de fournir aux savants juristes (ulémas) le matériau nécessaire sur lequel ils pourraient s'appuyer pour élaborer la loi islamique (sharia) afin d'édifier une société régie selon les lois de Dieu et de Son Prophète. En Islam, les deux sources de loi essentielles sont le Coran et la Tradition du Prophète. Lorsque les deux demeurent muets face à un cas alors les juristes se tournent vers l'ijma (le consensus des savants) et le qiyas (le raisonnement par analogie) pour émettre un avis juridique. Zayn al-Abindin vécut durant la période appelée "des sept juristes de Médine", ces juristes éminents qui se consacrèrent à la collecte des Traditions prophétiques et mirent en place les bases de la jurisprudence (fiqh). Parmi ces ulémas, nous trouvons al-Musayyab, mais aussi al-Zuhri qui bien qu'étant un familier de la cour omeyyade tenait l'Imam dans une haute estime. C'est même lui qui décerna à l'Imam le qualificatif honorifique de "Zayn al-Abidin". L'Imam par sa piété, son enseignement et sa science avait acquis une réputation d'homme saint et était vénéré par les musulmans. Une anecdote fréquemment citée illustre l'estime et la considération que les gens lui portaient. Au cours d'un pèlerinage, le prince omeyyade Hisham , fils du Calife Abd al-Malik, essayait vainement tout en faisant les processions rituelles autour de la Ka'ba de se rapprocher de la Pierre noire enchâssée à l'un des angles du cube afin de la toucher et de l'embrasser comme il est recommandé selon le rituel du pèlerinage. Ne parvenant pas à s'approcher de la Pierre, il se mit à l'écart, excédé, et attendit que la foule fut moins dense. Lorsque se présenta Zayn al-Abidin, les gens s'écartèrent respectueusement sur son passage et lui firent un chemin jusqu'à la relique sacrée qu'il put honorer en la touchant et en l'embrassant. Hisham, feignant d'ignorer l'identité de l'Imam, demanda : "Qui est-ce donc ?". Mal lui en prit car sa question reçut de la part du grand poète Farazdaq qui l'accompagnait une réponse cinglante sous la forme d'un panégyrique improvisé sur le champ. Cet éloge de Farazdaq est considéré comme un chef d'œuvre de la poésie arabe.
L'Imam poursuivit vaille que vaille dans son attitude quiétiste en dépit des sollicitations qu'il recevait pour prendre les armes. Ainsi, lorsqu'un certain al-Mukhtar qui avait levé une armée pour combattre les Omeyyades et venger Husayn se rapprocha de lui pour lui demander la permission de mener le combat en son nom, il essuya un refus catégorique de L'Imam. Al-Mukhtar se tourna alors vers Muhammad al-Hanafiyya, un autre fils du Calife Ali que celui-ci avait eu avec Khalwa, une femme de la tribu des Banu Hanifa. C’est dans le mouvement d’al-Mukhtar que nous trouvons pour la première fois dans l’histoire islamique la notion du Mahdi, d’un Sauveur, issu de la descendance de Ali, qui doit revenir pour instaurer une ère de paix et de justice sur la terre et récupérer le pouvoir qui lui revient de droit. Certes le terme de Mahdi avait déjà été utilisé auparavant comme un qualificatif honorifique pour Ali et Husayn, mais c'est la première fois qu'il prenait une signification messianique. Une grande partie des chiites déçu par l'attitude pacifique de l'Imam rallièrent al-Mukhtar et prirent Muhammad al-Hanafiyya comme Imam. La révolte d'al-Mukhtar fut écrasée en 687 à Kufa et al-Hanafiyya mourut mystérieusement.
De nombreux chiites, déçus par l'attitude pacifique de l'Imam, se tournèrent vers d'autres descendants de Muhammad qui prenaient les armes pour combattre les Omeyyades. Il semblerait que l'Imam n'ait pas eut beaucoup de fidèles et qu'il ne fut considéré comme Imam que par une minorité de partisans. Néanmoins, l'attitude quiétiste de Zayn al-Abidin accordera la tranquillité nécessaire pour permettre à ses deux prochains successeurs de définir le concept de l'Imamat, de jeter les bases de la pensée chiite et de s'imposer ainsi sur la base de l'autorité morale et intellectuelle qu'ils auront acquises, comme les Imams légitimes des chiites.
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