Sindbad PUZZLE

Retrouvez les chefs-d'oeuvre de la miniature persane et indienne en puzzles sur le site de Sindbad PUZZLE

mercredi 10 mars 2010

Mohammed al-Maghout : "Du seuil au ciel"


Du seuil au ciel
Maintenant
que la pluie triste
inonde ma face triste
je rêve d'une échelle de poussière
de dos courbés
de paumes appuyées sur des genoux
qui me hisseraient vers les hauteurs du ciel
afin que je sache
où s'en vont nos plaintes et nos prières
Ah mon aimée
il faut bien
que toutes les plaintes, les prières
tous les soupirs, les appels au secours
fusant
des millions de bouches et de poitrines
depuis des siècles, des millénaires
soient rassemblés quelque part dans le ciel tels des nuages
Et peut-être
mes paroles se trouvent-elles maintenant
près de celles du Messie
Alors attendons que le ciel pleure
ô mon aimée

Mohamed al-Maghout, La joie n'est pas mon métier, traduit par Abdellatif Laâbi, Orphée / La Différence

7 commentaires:

giulio a dit…

Et que dis-tu de cet autre cri d'Al-Maghout, Pier? Étrange parenté entre ces deux poèmes, n'est-ce pas? Que de tristesse! Mais aussi, que de colère! S'adresse-t-il à un Dieu auquel il ne croit point ou à celui auquel il eût pu croire si les hommes qui Y ont personnifié une infinité de désidératas égoïstes, pusillanimes et mauvais ne l'avaient pas rendu non-advenu?

La peur du facteur

Des prisonniers partout
envoie-moi tous ceux que tu as vus
d’horreur et de pleurs d’hébétude.
Pêcheur de tous rivages,
envoie tous ceux que tu sais
des filets vides et tourbillons marins.
Paysan de tous pays,
envoie-moi tout ce que tu as
de fleurs et haillons miteux
de seins déchirés
de ventres transpercés
d’ongles arrachés.
Envoie-moi l’adresse
en tout bistro en toute rue du monde:
Je prépare un énorme carton
sur la souffrance humaine
afin de le présenter à Dieu
dès qu’il est signé des lèvres de l’affamé
et des paupières de ceux qui attendent.
Mais, oh vous, les misérables de tous lieux
j’ai bien peur
que Dieu ne soit «illettré»
.

Pier Paolo a dit…

La traduction de ce poème par Laabi est bien meilleure et elle sera prochainement en ligne, d'autant plus que ce poème fait partie de ces rares poèmes relativement court d'al-Maghout. Parenté entre les deux poèmes, oui, et parenté aussi entre Ma'ari et al-Maghout.

giulio a dit…

Pauvre traduction!? Cela n'a rien d'étonnant puisqu'elle est de moi et via l'anglais(*), Lorsque Laabi (dont j'ignorais qu'il eût traduit ce poème là dans l'édition "La joie n'est pas mon métier" chez Orphée/La Différence, sinon je me serais abstenu) a travaillé sur l'original arabe.

Je suis impatient de te voir nous offrir la traduction de Laabi.

Quant à Maari, oui, j'ai aussi appelé Al-Maghout le Maari du 21e siècle. Beaucoup de points communs. Le dernier en date étant hélas qu'ils sont morts tous les deux. J'ai pourtant comme l'impression - dis-moi si je me trompe - qu'il y a plus de colère rentrée, de frustration, d'amertume chez Al-Maghout, peut-être parce que moins protégé des pouvoirs politiques et religieux que Maari, peu vulnérable dans son fief familial et souverain dans sa spiritualité et son détachement d'un monde auquel Al-Magout était beaucoup plus proche et duquel il dépendait aussi davantage.

(*) «When the Words Burn: An Anthology of Modern Arabic Poetry: 1945-1987», Edit. J. M. Asfour, Ontario, Cormorant Books 1988

Pier Paolo a dit…

Je n'ai pas dit que la traduction était pauvre. Et tout compte fait, elle est pas mal du tout et très proche de celle de Laâbi à laquelle j'ai pu la comparer durant la pause déjeuner.
Ce qui rapproche al-Maghout de Ma'arri, c'est le ton frondeur, iconoclaste, impertinent. Mais oui, al-Maghout a eu beaucoup plus d'ennui que Ma'arri qui a connu une vie plutôt paisible et n'a pas été inquiété par les Fatimides. Al-Maghout a connu l'emprisonnement, la torture, l'exil et a mené une vie très en prise avec la politique, la misère sociale. A travers ses poèmes, il évoque très souvent la déchéance physique et morale, la vie dans les bas-fonds de Damas. Son oeuvre est très noire, d'où mes illustrations sombres pour accompagner ses textes. Mais plus je le lis - et il y a besoin de le lire à plusieurs reprises tant son langage est hermétique - plus je l'apprécie. Dernière chose, la lecture n'est pas facilitée du fait que les poèmes sont généralement particulièrement longs. Les deux poèmes mis en ligne sont parmi les plus courts qu'il ait écrits.

giulio a dit…

Merci pour ces précisions, Pier.
Laabi a-t-il aussi traduit celui-ci en français (je te le donne en anglais car je n'ose plus te donner ma traduction de traduction)?

The Orphan

Oh, the dream ...
My glittering carriage smashed,
all of its wheels scattered like gypsies
to the world's end!
I dreamt of spring one night
and when I awoke
my pillow was heaped with flowers.
I dreamt of the sea once
and in the morning
my bed was filled with fish fins and seashells.
But when I dreamt of freedom,
spears encircled my neck
like the morning's halo.
You will never find me again
in the port or awaiting trains ...
You will find me up
in public libraries
sleeping on the maps of Europe
the sleep of the orphan on the sidewalk,
where my mouth spans more than one river
and my tears flow from one continent to the next.

Pier Paolo a dit…

Ce poème est vraiment magnifique. Je ne le trouve pas dans le recueil que j'ai en ma possession. Pourtant, nulle part il n'est indiqué qu'il s'agit d'une version abrégée. Mais c'est vrai nulle part, il n'est indiqué aussi que le texte est intégral. Je me demande si ce poème ne viendrait pas de son livre "Je trahirai mon pays" qui dit-on est le livre le plus lu en Palestine et dans le geôles israéliennes. Que de livres il reste encore à traduire !
A suivre.

giulio a dit…

Tu le trouves en tout cas sur le net, accouplé au "facteur" comme extrait de «When the Words Burn: An Anthology of Modern Arabic Poetry: 1945-1987», Edit. J. M. Asfour, Ontario, Cormorant Books 1988