"Le Christ et la chaise électrique". Sculpture de Paul Fryer exposée dans la cathédrale de Gap par Mgr Di Falco
Peur du Facteur
Vous les prisonniers en tout lieu
envoyez-moi tout ce que vous avez
de terreur, de hurlement et d'ennui
Vous les pêcheurs sur toutes les côtes
envoyez-moi tout ce que vous avez
de filets vides et de mal de mer
Vous les paysans en toute terre
envoyez-moi tout ce que vous avez
de vieilles fleurs et nippes
de seins déchirés
ventres ouverts
ongles arrachés
à mon adresse...dans n'importe quel café
n'importe quelle rue du monde
Je prépare un "énorme dossier"
sur la souffrance humaine
pour le soumettre à Dieu
dès qu'il sera signé par les lèvres des affamés
et les cils de ceux qui attendent
Mais, ô malheureux en tout lieu
ce que je crains par-dessus tout
c'est que Dieu soit analphabète ("ummi") [1]
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[1] Le terme qu'emploie Mohammed al-Maghout pour "analphabète" est le fameux terme arabe "ummi" utilisé par le Coran pour désigner l'analphabétisme du Prophète. Le poète met d'ailleurs ce mot entre guillemets afin de bien souligner la référence explicite au Prophète. Pour Rûmî et d'autres mystiques comme Attar, "ummi" signifie également pureté. Le coeur du Prophète, avant que la Révélation ne lui parvienne, avait été purifié et débarrassé de toutes ses souillures et de toutes les connaissances terrestres précedemment acquises. Rûmî dit que le coeur du Prophète avait été rendu blanc comme une feuille vierge et que Dieu pouvait désormais écrire sur la tablette de son coeur les versets du Coran et leurs mystères. On peut voir combien, à travers une apparente provocation, l'oeuvre d'al-Maghout peut receler de virtualités en interprétations diverses et plus profondes.
Mohamed al-Maghout, La joie n'est pas mon métier, traduction de Abdellatif Laâbi, Orphée / La Différence
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