MÂGHÛT Muhammad al-, né en 1934 et mort en 2006
Poète et homme de théâtre syrien. Né à Salamiya, près de Hâma, où il fait ses études secondaires, avant de travailler comme journaliste à Damas, à Beyrouth et dans les Emirats arabes unis. Dès 1959, il publie son premier recueil de poèmes en prose, Huzn fi daw' al-qamar (Tristesse dans la lumière lunaire), bientôt suivi de deux autres : Ghurfa bi-malâyîn djudrân, 1964 (Une chambre aux millions de murs), et Al-Farah laysa mihnatî, 1970 (La joie n'est pas mon métier). Sa première pièce, Al-Usfûr al-ahdab, 1967 (L'Oiseau bossu), sorte de poème dialogué d'un pessimisme extrême, ne sera jamais jouée. En revanche, il connaît le succès avec sa comédie Al-Muharridj (Le Baladin) qui sera donnée à Beyrouth (1974). En 1973, il se joint à la troupe théâtrale syrienne Usra tishrîn (La Famille d'octobre) à pour laquelle il compose, en collaboration avec le comédien Durayd Lahham, une série de pièces dont les plus connues sont Day'a tishrîn, 1974 (Le Village d'octobre), Ghurba, 1976 (L'Exil), et Ka'sak yâ watan, 1978 (A la tienne, patrie !). Ce théâtre, essentiellement burlesque et passablement critique à l'égard du régime en place, connaît un grand succès auprès du public, mais est presque unanimement dénoncé par la critique syrienne comme superficiel et futile, alors même qu'elle reconnaît à Mâghût de grands talents de poète.
En effet, son oeuvre poétique est sans doute l'une des plus accomplies que le Moyen-Orient contemporain est produite. C'est aussi l'une des plus pessimistes. En vérité, Mâghût a mal a son pays. Cette patrie qui est, pourtant, son unique souci, qu'il rêve grande et noble, libre et accueillante, n'est que fange, ville-prison aux trottoirs boueux où le poète se sent en exil, où il vit en solitaire. D'où une envie constante d'évasion. Evasion spatiale d'abord, vers les vastes horizons du désert, de la mer et du ciel où les êtres respirent librement. Evasion temporelle ensuite : vers l'âge béni de l'enfance, bien sûr, vers l'époque des Romantiques, certes, avec lesquels la sensibilité meurtrie de Mâghût se sent des affinités, mais vers les époques glorieuses du passé surtout. Le présent qui, aux yeux du poète, n'est que traîtrise, lâcheté et humiliation, solitude, exil et errance s'oppose à la furûsîya (chevalerie) du bédouin conquérant, à son sens aigu de l'honneur et de la fraternité, à son goût farouche de la liberté et de la grandeur.
Convaincu de son impuissance à changer le présent, le poète, inlassablement, égrène ses griefs, exhale son désespoir et son dégoût du monde qui l'environne. Il faut attendre son troisième recueil et son théâtre pour que le désespoir se mue en agressivité et se teinte d'humour, pour qu'une vague lueur d'espoir vienne éclairer le présent et l'avenir.
Moins marqué par la tradition poétique classique qu'un Hijâzî, Mâghût conduit d'emblée le poème en prose à la perfection. Sa langue, limpide et sobre, tisse des images qui se font écho par-delà les frontières du poème et bat à un rythme qui semble ignorer l'artifice, alors que rien n'y est laissé au hasard. A côté d'Adonis, Sayyâb, Bayyâti, Darwish et Hidjazî, Mâghût conquiert ainsi sa place dans le panthéon de la poésie arabe contemporaine.
Source : Jamel Eddine Bencheickh[1], Dictionnaire de littératures de langue arabe et maghrébine francophone, PUF, 2000, pp. 239-40
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[1] Jamel Eddine Bencheikh, né à Casablanca en 1930, agrégé d'arabe, docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris VIII-Vincennes et directeur du département d'études arabes (1972-1991) ; professeur à l'université de Paris IV-Sorbonne. Il est l'auteur de nombreuses publications, notamment sur les Mille et une nuits, en collaboration avec André Miquel.
Poète et homme de théâtre syrien. Né à Salamiya, près de Hâma, où il fait ses études secondaires, avant de travailler comme journaliste à Damas, à Beyrouth et dans les Emirats arabes unis. Dès 1959, il publie son premier recueil de poèmes en prose, Huzn fi daw' al-qamar (Tristesse dans la lumière lunaire), bientôt suivi de deux autres : Ghurfa bi-malâyîn djudrân, 1964 (Une chambre aux millions de murs), et Al-Farah laysa mihnatî, 1970 (La joie n'est pas mon métier). Sa première pièce, Al-Usfûr al-ahdab, 1967 (L'Oiseau bossu), sorte de poème dialogué d'un pessimisme extrême, ne sera jamais jouée. En revanche, il connaît le succès avec sa comédie Al-Muharridj (Le Baladin) qui sera donnée à Beyrouth (1974). En 1973, il se joint à la troupe théâtrale syrienne Usra tishrîn (La Famille d'octobre) à pour laquelle il compose, en collaboration avec le comédien Durayd Lahham, une série de pièces dont les plus connues sont Day'a tishrîn, 1974 (Le Village d'octobre), Ghurba, 1976 (L'Exil), et Ka'sak yâ watan, 1978 (A la tienne, patrie !). Ce théâtre, essentiellement burlesque et passablement critique à l'égard du régime en place, connaît un grand succès auprès du public, mais est presque unanimement dénoncé par la critique syrienne comme superficiel et futile, alors même qu'elle reconnaît à Mâghût de grands talents de poète.
En effet, son oeuvre poétique est sans doute l'une des plus accomplies que le Moyen-Orient contemporain est produite. C'est aussi l'une des plus pessimistes. En vérité, Mâghût a mal a son pays. Cette patrie qui est, pourtant, son unique souci, qu'il rêve grande et noble, libre et accueillante, n'est que fange, ville-prison aux trottoirs boueux où le poète se sent en exil, où il vit en solitaire. D'où une envie constante d'évasion. Evasion spatiale d'abord, vers les vastes horizons du désert, de la mer et du ciel où les êtres respirent librement. Evasion temporelle ensuite : vers l'âge béni de l'enfance, bien sûr, vers l'époque des Romantiques, certes, avec lesquels la sensibilité meurtrie de Mâghût se sent des affinités, mais vers les époques glorieuses du passé surtout. Le présent qui, aux yeux du poète, n'est que traîtrise, lâcheté et humiliation, solitude, exil et errance s'oppose à la furûsîya (chevalerie) du bédouin conquérant, à son sens aigu de l'honneur et de la fraternité, à son goût farouche de la liberté et de la grandeur.
Convaincu de son impuissance à changer le présent, le poète, inlassablement, égrène ses griefs, exhale son désespoir et son dégoût du monde qui l'environne. Il faut attendre son troisième recueil et son théâtre pour que le désespoir se mue en agressivité et se teinte d'humour, pour qu'une vague lueur d'espoir vienne éclairer le présent et l'avenir.
Moins marqué par la tradition poétique classique qu'un Hijâzî, Mâghût conduit d'emblée le poème en prose à la perfection. Sa langue, limpide et sobre, tisse des images qui se font écho par-delà les frontières du poème et bat à un rythme qui semble ignorer l'artifice, alors que rien n'y est laissé au hasard. A côté d'Adonis, Sayyâb, Bayyâti, Darwish et Hidjazî, Mâghût conquiert ainsi sa place dans le panthéon de la poésie arabe contemporaine.
Source : Jamel Eddine Bencheickh[1], Dictionnaire de littératures de langue arabe et maghrébine francophone, PUF, 2000, pp. 239-40
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[1] Jamel Eddine Bencheikh, né à Casablanca en 1930, agrégé d'arabe, docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris VIII-Vincennes et directeur du département d'études arabes (1972-1991) ; professeur à l'université de Paris IV-Sorbonne. Il est l'auteur de nombreuses publications, notamment sur les Mille et une nuits, en collaboration avec André Miquel.
N.B : L'oeuvre poétique de Mohammed al-Maghout a été traduite par Abdellatif Laâbi et publiée, en format poche, aux éditions de la Différence sous le titre La joie n'est pas mon métier.
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