A travers son dernier recueil de poésies paru aux éditions du Cygne et intitulé « Prière du vieux maître soufi le lendemain de la fête », c’est à un véritable voyage à travers les mots, les couleurs, les images, les sens que nous convie Jalel el-Gharbi en compagnie d’un vieux soufi.
Il suffit d’emprunter la métaphore (majaz, en arabe) et de considérer l’image qu’elle contient. Car l’image est le personnage principal de ce recueil et tout gravite autour d’elle. C’est elle qui fait naître chez notre soufi ces rêveries poétiques qui le plongent non seulement dans le raffinement des délices intellectuelles procurées par la contemplation des beautés artistiques mais également dans la jouissance des sens éprouvée à la représentation de ces beautés. Mais de toutes les gratifications dont une image peut combler notre soufi, la plus grande est certainement celle d’engendrer dans l’esprit enamouré du vieux maître, une autre image, et ainsi de suite à l’infini. De métaphore en métaphore, tout au long du texte, nous voyageons avec notre soufi. Précisons enfin que le terme « métaphore » vient du grec « metaphora » qui signifie « transport ». Cette étymologie ne venant que souligner davantage le fait que la métaphore est bien à l’origine une invitation au voyage, au déplacement, à l’évasion, à la rêverie. Aussi, c’est sans surprise que nous voyons notre soufi ne pas s’attarder dans l’ermitage des moines du Galamus. Rien ne serait plus contraire à sa démarche que de se fixer en un lieu donné. Notre soufi est un voyageur aux semelles de vent, sans cesse en mouvement, en quête. Chaque destination n’étant toujours pour lui qu’une étape, un carrefour, une halte provisoire dont l’intérêt n’est autre que celui de proposer le choix de routes nouvelles. Le monde est un temple pour notre soufi et il communie avec le Divin en étant au milieu de lui et non retranché de lui. Le soufi, dans le monde, se voit entouré de signes qui contiennent en eux l’indicible et lui permettent de s’en approcher. Le signe est à l’exemple de Qatmir, ce chien gardien des sept Dormants d’Ephèse, posté devant l’entrée de la caverne et veillant sur le sommeil des jeunes gens en attendant leur résurrection. Notre soufi communie avec le Divin, non exclusivement par la prière, mais surtout par la méditation sur le signe, l’exégèse qu’il en fait en utilisant son intellect, et par le regard constamment émerveillé qu’il porte sur tout ce qu’il voit. Notre soufi adresse ses louanges au Créateur, non en se privant des excellentes nourritures terrestres qu’il trouve sur terre, mais au contraire, en les savourant par tous les sens de son corps. Il convient de s’arrêter ici brièvement sur le terme « signe » qui se dit en arabe « aya » (pluriel : « ayât »). Le terme « aya » signifie tout à la fois « signe miraculeux » et « verset ». Ainsi, le Coran est composé de versets qui sont autant de signes miraculeux. Mais ce qui est particulièrement significatif, c’est que le Coran emploie également le terme « aya » pour désigner les phénomènes naturels. Chaque élément de la création est non seulement un signe miraculeux du Divin mais également un verset. Le macrocosme est un grand livre. Aussi, il n’est pas surprenant de constater que le premier mot de la révélation coranique est l’impératif « Lis ! ». Oui, lire et toujours lire et ne faire que lire durant toute sa vie. Afin de nous aider à déchiffrer quelques uns des mystères de l’Univers, le soufi nous lit gracieusement quelques pages de son Abécédaire mystique. L’alif, la première lettre de l’alphabet, qui est une droite verticale, est également utilisée pour désigner le chiffre un. Il symbolise non seulement l’unité divine mais également la taille élancée de l’amour et le désir tendu des soufis à s’annihiler dans le Divin (Fana fi-lah). La lettre nun, par sa forme, évoque le croissant de lune et la lumière (nûr) dont elle constitue la première lettre, la fleur du narcisse et une barque voguant sur l’Achéron. On voit comment chez notre vieux maître le signe éveille les sens dans toutes les acceptions de ce mot. Sens en tant que « signification » car le soufi pénètre dans une réalité plus profonde que celle apparaissant à la surface. Sens en tant qu’« orientation » avec à nouveau ces images relatives au voyage et à l’évasion. Sens en tant que « sensualité » avec la vue flattée par la beauté du narcisse et l’odorat par son parfum. La métaphore est pour notre soufi un chemin, un passage, un pont qui lui permet de passer d’une réalité apparente et superficielle à une réalité beaucoup plus profonde, cachée et essentielle, où image et sens se rencontrent comme en un confluent. L’image est alors perçue par les sens et les sens se métamorphosent en images. La métaphore est ce passage qu’empruntent les images et les sens pour aller à la rencontre de l’autre et passer d’une rive à l’autre. Il est significatif d’ailleurs qu’en arabe l’on dise que la métaphore est le pont de la réalité / vérité (« al-majaz qantarat al-haqiqa » ; le terme haqiqa signifie tout à la fois « réalité » et « vérité »). La métaphore permet ainsi d’accéder à une réalité plus vraie et une vérité plus réelle. Elle nous conduit en cette utopie que Jalel el Gharbi qualifie d’ « Orcident » ou d’ « Occirient », lieu de confluence et de réconciliation entre l’Occident et l’Orient, entre le signe et le signifié, entre l’image et les sens, entre le symbole et le symbolisé et entre l’amant et l’aimé. Jardin d’entre les jardins où tout n’est que luxe, calme et volupté.
Pour notre vénérable soufi, la quête de l’indicible est intimement liée à la sensualité, au voyage et à la rêverie. Il nous mène de signe en signe et de métaphore en métaphore sur les voies de l’amour, de l’émerveillement et de l’indicible.
Notre soufi, bien qu’étant au lendemain d’une fête, n’en est pas moins à la veille d’une autre où l’on est invité à venir le rejoindre sur ce pont qui mène à la Vérité.
Il suffit d’emprunter la métaphore (majaz, en arabe) et de considérer l’image qu’elle contient. Car l’image est le personnage principal de ce recueil et tout gravite autour d’elle. C’est elle qui fait naître chez notre soufi ces rêveries poétiques qui le plongent non seulement dans le raffinement des délices intellectuelles procurées par la contemplation des beautés artistiques mais également dans la jouissance des sens éprouvée à la représentation de ces beautés. Mais de toutes les gratifications dont une image peut combler notre soufi, la plus grande est certainement celle d’engendrer dans l’esprit enamouré du vieux maître, une autre image, et ainsi de suite à l’infini. De métaphore en métaphore, tout au long du texte, nous voyageons avec notre soufi. Précisons enfin que le terme « métaphore » vient du grec « metaphora » qui signifie « transport ». Cette étymologie ne venant que souligner davantage le fait que la métaphore est bien à l’origine une invitation au voyage, au déplacement, à l’évasion, à la rêverie. Aussi, c’est sans surprise que nous voyons notre soufi ne pas s’attarder dans l’ermitage des moines du Galamus. Rien ne serait plus contraire à sa démarche que de se fixer en un lieu donné. Notre soufi est un voyageur aux semelles de vent, sans cesse en mouvement, en quête. Chaque destination n’étant toujours pour lui qu’une étape, un carrefour, une halte provisoire dont l’intérêt n’est autre que celui de proposer le choix de routes nouvelles. Le monde est un temple pour notre soufi et il communie avec le Divin en étant au milieu de lui et non retranché de lui. Le soufi, dans le monde, se voit entouré de signes qui contiennent en eux l’indicible et lui permettent de s’en approcher. Le signe est à l’exemple de Qatmir, ce chien gardien des sept Dormants d’Ephèse, posté devant l’entrée de la caverne et veillant sur le sommeil des jeunes gens en attendant leur résurrection. Notre soufi communie avec le Divin, non exclusivement par la prière, mais surtout par la méditation sur le signe, l’exégèse qu’il en fait en utilisant son intellect, et par le regard constamment émerveillé qu’il porte sur tout ce qu’il voit. Notre soufi adresse ses louanges au Créateur, non en se privant des excellentes nourritures terrestres qu’il trouve sur terre, mais au contraire, en les savourant par tous les sens de son corps. Il convient de s’arrêter ici brièvement sur le terme « signe » qui se dit en arabe « aya » (pluriel : « ayât »). Le terme « aya » signifie tout à la fois « signe miraculeux » et « verset ». Ainsi, le Coran est composé de versets qui sont autant de signes miraculeux. Mais ce qui est particulièrement significatif, c’est que le Coran emploie également le terme « aya » pour désigner les phénomènes naturels. Chaque élément de la création est non seulement un signe miraculeux du Divin mais également un verset. Le macrocosme est un grand livre. Aussi, il n’est pas surprenant de constater que le premier mot de la révélation coranique est l’impératif « Lis ! ». Oui, lire et toujours lire et ne faire que lire durant toute sa vie. Afin de nous aider à déchiffrer quelques uns des mystères de l’Univers, le soufi nous lit gracieusement quelques pages de son Abécédaire mystique. L’alif, la première lettre de l’alphabet, qui est une droite verticale, est également utilisée pour désigner le chiffre un. Il symbolise non seulement l’unité divine mais également la taille élancée de l’amour et le désir tendu des soufis à s’annihiler dans le Divin (Fana fi-lah). La lettre nun, par sa forme, évoque le croissant de lune et la lumière (nûr) dont elle constitue la première lettre, la fleur du narcisse et une barque voguant sur l’Achéron. On voit comment chez notre vieux maître le signe éveille les sens dans toutes les acceptions de ce mot. Sens en tant que « signification » car le soufi pénètre dans une réalité plus profonde que celle apparaissant à la surface. Sens en tant qu’« orientation » avec à nouveau ces images relatives au voyage et à l’évasion. Sens en tant que « sensualité » avec la vue flattée par la beauté du narcisse et l’odorat par son parfum. La métaphore est pour notre soufi un chemin, un passage, un pont qui lui permet de passer d’une réalité apparente et superficielle à une réalité beaucoup plus profonde, cachée et essentielle, où image et sens se rencontrent comme en un confluent. L’image est alors perçue par les sens et les sens se métamorphosent en images. La métaphore est ce passage qu’empruntent les images et les sens pour aller à la rencontre de l’autre et passer d’une rive à l’autre. Il est significatif d’ailleurs qu’en arabe l’on dise que la métaphore est le pont de la réalité / vérité (« al-majaz qantarat al-haqiqa » ; le terme haqiqa signifie tout à la fois « réalité » et « vérité »). La métaphore permet ainsi d’accéder à une réalité plus vraie et une vérité plus réelle. Elle nous conduit en cette utopie que Jalel el Gharbi qualifie d’ « Orcident » ou d’ « Occirient », lieu de confluence et de réconciliation entre l’Occident et l’Orient, entre le signe et le signifié, entre l’image et les sens, entre le symbole et le symbolisé et entre l’amant et l’aimé. Jardin d’entre les jardins où tout n’est que luxe, calme et volupté.
Pour notre vénérable soufi, la quête de l’indicible est intimement liée à la sensualité, au voyage et à la rêverie. Il nous mène de signe en signe et de métaphore en métaphore sur les voies de l’amour, de l’émerveillement et de l’indicible.
Notre soufi, bien qu’étant au lendemain d’une fête, n’en est pas moins à la veille d’une autre où l’on est invité à venir le rejoindre sur ce pont qui mène à la Vérité.
2 commentaires:
Il est étonnant au reste que tous les mystiques, au gré de leurs voyages, trouvent un monde intermédiaire, lieu de confluence et de réconciliation entre l’Occident et l’Orient, entre le signe et le signifié, entre l’image et les sens, entre le symbole et le symbolisé... que Jalel el-Gharbi appelle ici l’Orcident ou d’Occirient et que Corbin nomme le monde imaginal…est-ce la même chose ?
Cher Lama, ce rapprochement entre l'Orcident ou l'Occirient et le monde imaginal (a'lam al-mithal) dont parle Corbin ou des mystiques comme Sohravardi ou Ibn Arabi découle de ma lecture du livre de Jalel el-Gharbi.
En tout cas, el-Gharbi en ayant forgé ces termes voulait exprimer son appartenance tout à la fois à la culture orientale et occidentale. Par delà cette réconciliation culturelle, j'y ai vu ce monde imaginal car l'image et les rêveries qui en découlent jouent un rôle fondamental dans le recueil d'el-Gharbi.
Enregistrer un commentaire