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samedi 6 mars 2010

Abdellatif Laabi : al-Maghout, un muezzin païen

Abdellatif Laâbi

Abdellatif Laabi a traduit de l'arabe et présenté l'oeuvre poétique de Mohammed al-Maghout aux éditions Orphée/La Différence sous le titre "La joie n'est pas mon métier".
Dans son introduction au recueil poétique, Abdellatif Laâbi nous expose quelqu'unes des caractéristiques de l'oeuvre d'al-Maghout et son originalité. Voici un extrait :
"Les poèmes qu'on va lire ont été écrits à la fin des années cinquante et au cours de la décennies suivante. Depuis lors, al-Maghout s'est tu en tant que poète pour se consacrer au théâtre. Il fallait le rappeler afin que le lecteur se rende mieux compte du caractère à la fois prémonitoire et actuel de ces textes.
L'apparition d'al-Maghout dans le champ de la poésie arabe contemporaine ressemble à celle d'un météore. Comment ne pas penser à Rimbaud et à son destin fulgurant ? L'oeuvre de l'un et de l'autre relève de l'anomalie. L'un et l'autre sont ce que l'on pourrait appeler des "barbares" au regard de leur culture. La comparaison doit s'arrêter là. Car, si l'un des mérites de Rimbaud a été d'ébranler l'édifice poétique occidental, celui d'al-Maghout est plutôt de miner les fondements de la morale dominante dans les sociétés arabes. Ses cibles privilégiées sont les tabous, qu'ils soient d'ordre politique, religieux ou sexuel. En cela, il reprend à son compte une tradition séculaire d'impertinence, qui n'a cessé de travailler en marge le corps de la culture arabe. Mais il ne se contente pas, comme le font beaucoup d'intellectuels arabes, d'adopter une attitude de défense outragée de ce patrimoine si souvent occulté et nié. Il le réactive et l'insère dans les luttes d'aujourd'hui, pour combattre les dogmes et les hypocrisies propres à notre époque. Ce qui le distingue de ses prestigieux prédecesseurs, c'est qu'il ne recourt à aucun artifice, aucune précaution pour ce faire. La crudité, voire la cruauté d'al-Maghout sont bien celles d'un écrivain de notre temps, auquel l'évolution du monde n'a pas échappé : révolutions politiques et scientifiques, bond prodigieux des connaissances, y compris celle de l'homme et de ses labyrinthes, guerres planétaires, levée des nationalismes et des idéologies. Un écrivain arabe vivant dans une partie du monde qui ne reçoit de cette évolution que ses aspects pervertis, d'où son immense frustration et ses immanquables dérives.
Dans ce décor de pénitencier aux murailles et aux barreaux plantés dans le désert, la voix d'al-Maghout s'élève, brisée, comme celle d'un muezzin païen. Ses imprécations n'épargnent rien, à commencer par lui-même. L'infamie générale distille son poison jusqu'au coeur du poète.
C'est bien, ô siècle
tu m'as vaincu
Mais je ne trouve dans tout cet Orient
nul promontoire
où planter le drapeau de ma soumission.
Le présent recueil ainsi que l'itinéraire poétique d'al-Maghout s'achèvent sur ces paroles. La nuit qui enveloppe le monde arabe sera longue. Avant cela, entre chien et loup, le poète en arua appelé aux vertus de l'insomnie, aura rappelé que le rêve n'est pas une absence à la faveur de la somnolence, mais une lecture attentive et perplexe de la pénombre."
Abdellatif Laâbi, Introduction, in Mohamed al-Maghout, La joie n'est pas mon métier, Orphée/La Différence, 1992

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