En 1194, à la mort de l'Imam-Calife al-Mustansir billah, un schisme ébranle la communauté ismaélienne entre les partisans de Nizar d'une côté et ceux de Musta'li de l'autre, tous deux fils du Calife défunt. L'homme fort du régime, le général arménien Badr al-Jamali installe sur le trône son beau-fils Musta'li au détriment de l'héritier désigné Nizar. Avec cette éviction du pouvoir, c'est une période de clandestinité qui commence pour les descendants de Nizar, et leurs fidèles seront placés sous la direction de Hasan Sabbah qui avait établi son quartier général à Alamut, en Iran. Le Calife al-Musta'li et sa famille régneront au Caire jusqu'en 1171, date à laquelle le dernier calife fâtimide sera destitué par Saladin. Dans l'extrait ci-dessous, Anne-Marie Eddé nous raconte le processus de suppression par Saladin du califat fâtimide.
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"Lorsqu'en avril 1170, Ayyûb était venu rejoindre son fils [Saladin] au Caire, Ibn Abî Tayyi' rapporte que Nûr al-Dîn, lui-même pressé par le calife de Bagdad, lui avait demandé d'ordonner à Saladin de restaurer sans plus tarder la khutba abbasside en Egypte. La khutba, harangue politico-religieuse, prononcée dans les grandes mosquées avant la prière solennelle du vendredi, revêtait une très grande valeur symbolique, car elle comprenait toujours une invocation appelant la bénédiction divine sur le calife et sur celui qui exerçait le pouvoir en son nom. Prononcer cette invocation en faveur du calife abbasside, c'était donc lui faire allégeance. Que Saladin ait pensé mettre fin au califat fatimide ds sa prise de pouvoir au Caire en 1169 ne fait aucun doute ; que Nûr al-Din se soit impatienté, soupçonnant son lieutenant de faire traîner les choses pour se réserver l'appui du calife égyptien au cas où les relations déterioreraient, est également plausible. En réponse à son père, Saladin avait fait valoir qu'il lui fallait, pour réussir, procéder par étapes, consolider d'abord son pouvoir et éliminer ses nombreux opposants.
Mais dès le mois d'août 1170, une fois la révolte noire et arménienne réprimée et la menace franque momentanément écartée, Saladin mit en oeuvre plusieurs mesures destinées à faciliter le retour au sunnisme. Dans les mosquées, la formule chiite d'appel à la prière "Venez à la meilleure des oeuvres. Muhammad et Ali sont les bienfaits de l'humanité" fut abandonnée et les noms des trois premiers califes, honnis des chiites, furent réintroduits dans la khutba du vendredi. Dans la capitale, aux côtés du grand cadi chiite, Saladin plaça l'un de ses proches, le juriste chafiite Diya' al-Din al-Hakkari qui fut chargé de la juridiction de l'ancienne fondation fatimide d'al-Qâhira. Plus au sud, dans les vieux quartiers de Fustât, Saladin fonda, peu de temps après, deux madrasas destinées à former des élites religieuses sunnites, et son neveu Taqî al-Din en instaura une troisième au printemps 1171. A son retour d'Ayla, en février-mars 1171, Saladin franchit un pas supplémentaire en enlevant aux chiites la fonction de grand cadi pour la confier à un chafiite kurde qui nomma, à son tour, des cadis chafiites dans les villes de province. Toutes ces mesures permirent de renforcer progressivement le sunnisme tout en testant les réaction de la population égyptienne qui ne manifesta, en réalité, que fort peu d'opposition, la majorité des habitants étant demeurée sunnite malgré deux siècles de régime fatimide chiite.
L'administration fut elle aussi reprise progressivement en main. La mort du chef de la chancellerie fatimide, au début du mois de mars 1171, permit de le remplacer par le fidèle cadi al-Fâdil, qui était un sunnite convaincu même s'il avait servi la dynastie fatimide. Enfin, l'armée subit de nouvelles purges entre 1170 et 1171 : des émirs furent expulsés de Fustât et leurs biens confisqués. Les protestations du calife n'y firent rien, d'autant que ce dernier, privé de ses troupes et confiné dans un palais dont les affaires étaient désormais gérées par l'eunuque Qarâqush al-Asadî, disposait de moins en moins de biens et de pouvoir Et même si Saladin ne semble pas lui avoir témoigné d'hostilité particulière - d'aucuns disent même qu'ils entretenaient de bonnes relations -, le rétablissement progressif du sunnisme et les exigences financières croissantes de l'armée turque achevèrent de l'affaiblir et de ruiner son autorité.
Au début de l'été 1171, tout était prêt pour le pas ultime. De son côté, Nûr al-Din pressa à nouveau son lieutenant de restaurer la khutba sunnite. Après avoir consulté ses émirs et constaté qu'ils se rangeaient tous derrière Nûr al-Din, Saladin réunit des jurisconsultes pour obtenir d'eux une fatwa sur le sujet. Sans grande surpries, ceux-ci déclarèrent légitime la destitution du calife al-Adid. Cette consultation n'était en elle-même qu'une formalité, mais elle témoigne de l'importance de la décision qui allait suivre : destituer un calife qui prétendait descendre de la famille du Prophète, mettre fin à une dynastie qui avait régné sur l'Egypte plus de deux cents ans, étaient des actions beaucoup plus lourdes de conséquences que l'élimination d'un vizir. Aux yeux des Irakiens et des Syriens, l'appui deu calife abbasside et de Nûr al-Din suffisait à légitimer une telle décision, mais en réclamant une fatwa à des hommes de loi respectés en Egypte, Saladin s'entourait de toutes les garanties juridiques possibles et enlevait toute possibilité de contestation aux oulémas égyptiens eux-mêmes."
Anne-Marie Eddé, Saladin, Flammarion,Paris, 2008, pp. 62-64
Mais dès le mois d'août 1170, une fois la révolte noire et arménienne réprimée et la menace franque momentanément écartée, Saladin mit en oeuvre plusieurs mesures destinées à faciliter le retour au sunnisme. Dans les mosquées, la formule chiite d'appel à la prière "Venez à la meilleure des oeuvres. Muhammad et Ali sont les bienfaits de l'humanité" fut abandonnée et les noms des trois premiers califes, honnis des chiites, furent réintroduits dans la khutba du vendredi. Dans la capitale, aux côtés du grand cadi chiite, Saladin plaça l'un de ses proches, le juriste chafiite Diya' al-Din al-Hakkari qui fut chargé de la juridiction de l'ancienne fondation fatimide d'al-Qâhira. Plus au sud, dans les vieux quartiers de Fustât, Saladin fonda, peu de temps après, deux madrasas destinées à former des élites religieuses sunnites, et son neveu Taqî al-Din en instaura une troisième au printemps 1171. A son retour d'Ayla, en février-mars 1171, Saladin franchit un pas supplémentaire en enlevant aux chiites la fonction de grand cadi pour la confier à un chafiite kurde qui nomma, à son tour, des cadis chafiites dans les villes de province. Toutes ces mesures permirent de renforcer progressivement le sunnisme tout en testant les réaction de la population égyptienne qui ne manifesta, en réalité, que fort peu d'opposition, la majorité des habitants étant demeurée sunnite malgré deux siècles de régime fatimide chiite.
L'administration fut elle aussi reprise progressivement en main. La mort du chef de la chancellerie fatimide, au début du mois de mars 1171, permit de le remplacer par le fidèle cadi al-Fâdil, qui était un sunnite convaincu même s'il avait servi la dynastie fatimide. Enfin, l'armée subit de nouvelles purges entre 1170 et 1171 : des émirs furent expulsés de Fustât et leurs biens confisqués. Les protestations du calife n'y firent rien, d'autant que ce dernier, privé de ses troupes et confiné dans un palais dont les affaires étaient désormais gérées par l'eunuque Qarâqush al-Asadî, disposait de moins en moins de biens et de pouvoir Et même si Saladin ne semble pas lui avoir témoigné d'hostilité particulière - d'aucuns disent même qu'ils entretenaient de bonnes relations -, le rétablissement progressif du sunnisme et les exigences financières croissantes de l'armée turque achevèrent de l'affaiblir et de ruiner son autorité.
Au début de l'été 1171, tout était prêt pour le pas ultime. De son côté, Nûr al-Din pressa à nouveau son lieutenant de restaurer la khutba sunnite. Après avoir consulté ses émirs et constaté qu'ils se rangeaient tous derrière Nûr al-Din, Saladin réunit des jurisconsultes pour obtenir d'eux une fatwa sur le sujet. Sans grande surpries, ceux-ci déclarèrent légitime la destitution du calife al-Adid. Cette consultation n'était en elle-même qu'une formalité, mais elle témoigne de l'importance de la décision qui allait suivre : destituer un calife qui prétendait descendre de la famille du Prophète, mettre fin à une dynastie qui avait régné sur l'Egypte plus de deux cents ans, étaient des actions beaucoup plus lourdes de conséquences que l'élimination d'un vizir. Aux yeux des Irakiens et des Syriens, l'appui deu calife abbasside et de Nûr al-Din suffisait à légitimer une telle décision, mais en réclamant une fatwa à des hommes de loi respectés en Egypte, Saladin s'entourait de toutes les garanties juridiques possibles et enlevait toute possibilité de contestation aux oulémas égyptiens eux-mêmes."
Anne-Marie Eddé, Saladin, Flammarion,Paris, 2008, pp. 62-64
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