Mahdia, place du Caire. Aquarelle de Jean Camille Louit, 2007
"Après la sieste venait la promenade jusqu'au centre de la ville. Le brouhaha des terrasses de cafés et les voix rugueuses des pêcheurs de sardines parlant en sicilo-tunisien... Leurs éclats de rire et les chats rôdant entre les couffins qui contenaient leur dîner de mer, généralement composé de poisson frit à la sauce tomate... L'enfant au visage de houri avec son plateau de jasmin passant parmi les tables chargées de verres de thé à la menthe et de limonade fraîche... Le clochard du port, ivre comme toujours, titubant sur les marches du café... La radio déversait à longueur de soirée la dernière chanson d'Oum Kalthoum pour le plus grand plaisir de quelques consommateurs solitaires, retirés à l'ombre des pins maritimes, en face du café... Les histoires abracadabrantes des jeunes oisifs sur le seuil du débit de tabac... Le paquet ouvert d'un air indifférent et les amandes impudiquement croquées... Puis le bruit des moteurs des sardiniers dans le port voisin, leur cohue colorée à son entrée, entre les phares, leur alignement graduel vers l'est où sont les myriades de bancs argentés et tous les trésors de la nuit marine...
Alors, il faisait bon aller manger un brik à l'oeuf chez le gargotier Sola, en face de l'unique salle de cinéma de la ville. Et voir, s'il me restait une pièce au fond de la poche, le western qui passait ce soir-là, L'homme qui tua Liberty Valence ou La chevauchée fantastique, pour, à la fin, quitter la salle obscure les poings serrés, prêt à régler son compte à quelque garnement de la vieille cité. Mais la nuit tenait les rues vides et les ruelles infréquentables à force de silence et d'obscurité. La plupart des enfants dormaient, les hommes étaient en haute mer, et les femmes veillaient tendrement sur le sommeil des uns et la bravoure des autres. Parfois, cependant, les chants d'une fête féminine coupaient à la nuit son habit de mutisme bleu. Et toujours, au-delà du cimetière, sur l'horizon tangant de la mer, les bracelets de lumières dorées, groupées ou éparpillées vers l'est et vers le sud, des lamparos, car de robustes gaillards ramaient...
Demain à l'aube, si mon père ne nous appelait pas pour charger la senne sur la barque, ou ramasser les faux éperlans ou prêtres aux environs de la rive, il faudrait se rendre au port avec Snéguel, pour acquérir une caisse de saurels ou de sardines et en amorcer les hameçons des palangres sous la voile dressée de notre César magnifiquement peinte en rouge et blanc.
Et ainsi, la pêche aux dentés dans les Rochers de l'Est, dans la Fosse de Salacta ou à la Pointe de Dimas tendait ses fils au rythme d'une vie laborieuse. qui quémendait à la mer quelques lots de ses peuplades, ou à ses jardins escarpés et à ses villes englouties, quelques dons fabuleux. Entre les mains habiles de mon père, un poisson des profondeurs se débattait. Dans la cale, un congre ou un ange de mer froufroutait. Un oiseau tournoyait, fendant l'air de son bec agité. Il suivrait de ses cris et de ses plongeons la trace de notre retour jusqu'à la crique du port enclavé. Snéguel chantonnait. Tout autour de sa nuque, des perles de sueur brillaient. A son habituelle rengaine, mon père souriait. Sous son coude, la barre du gouvernail était immobilisée.
Mets ta main là ou j'enferme mon secret.
C'est César qui y est ancrée,
pleine à ras bord de beaux dentés."
Alors, il faisait bon aller manger un brik à l'oeuf chez le gargotier Sola, en face de l'unique salle de cinéma de la ville. Et voir, s'il me restait une pièce au fond de la poche, le western qui passait ce soir-là, L'homme qui tua Liberty Valence ou La chevauchée fantastique, pour, à la fin, quitter la salle obscure les poings serrés, prêt à régler son compte à quelque garnement de la vieille cité. Mais la nuit tenait les rues vides et les ruelles infréquentables à force de silence et d'obscurité. La plupart des enfants dormaient, les hommes étaient en haute mer, et les femmes veillaient tendrement sur le sommeil des uns et la bravoure des autres. Parfois, cependant, les chants d'une fête féminine coupaient à la nuit son habit de mutisme bleu. Et toujours, au-delà du cimetière, sur l'horizon tangant de la mer, les bracelets de lumières dorées, groupées ou éparpillées vers l'est et vers le sud, des lamparos, car de robustes gaillards ramaient...
Demain à l'aube, si mon père ne nous appelait pas pour charger la senne sur la barque, ou ramasser les faux éperlans ou prêtres aux environs de la rive, il faudrait se rendre au port avec Snéguel, pour acquérir une caisse de saurels ou de sardines et en amorcer les hameçons des palangres sous la voile dressée de notre César magnifiquement peinte en rouge et blanc.
Et ainsi, la pêche aux dentés dans les Rochers de l'Est, dans la Fosse de Salacta ou à la Pointe de Dimas tendait ses fils au rythme d'une vie laborieuse. qui quémendait à la mer quelques lots de ses peuplades, ou à ses jardins escarpés et à ses villes englouties, quelques dons fabuleux. Entre les mains habiles de mon père, un poisson des profondeurs se débattait. Dans la cale, un congre ou un ange de mer froufroutait. Un oiseau tournoyait, fendant l'air de son bec agité. Il suivrait de ses cris et de ses plongeons la trace de notre retour jusqu'à la crique du port enclavé. Snéguel chantonnait. Tout autour de sa nuque, des perles de sueur brillaient. A son habituelle rengaine, mon père souriait. Sous son coude, la barre du gouvernail était immobilisée.
Mets ta main là ou j'enferme mon secret.
C'est César qui y est ancrée,
pleine à ras bord de beaux dentés."
Moncef Ghachem, L'Epervier. Des nouvelles de Mahdia, L'Arganier
4 commentaires:
Cher Pier, Je crois que Mahdia est l'une des rares villes où il fait bon vivre mais aussi mourir :
http://www.routard.com/images_contenu/communaute/photos/publi/053/pt52062.jpg
Merci cher ami
Oui, cher Jalel, il y a une dizaine d'année, Mahdia était à peu près négligée par les touristes, ce qui l'a d'ailleurs préservée ; à présent les touristes affluent en masse et les infrastructures touristiques se développent à une vitesse exponentielle, espérons que Mahdia ne soit pas trop défigurée.
Quant au cimetière marin, il est vraiment magnifique. La photo que vous avez mis en lien, je l'avais repérée et j'ai songé à le faire suivre par le poème de Paul Valéry intitulé "le cimetière marin".
Amitiés.
"La mer à mes genoux porte ses noyés
D’une ivresse contre mes reins ils dansent
Mes flèches sombrent dans leur chair insurgée
La lune est basse et le curare s’enfonce."
Moncef Ghachem, Cap Africa, Paris, L'Harmattan, 1989, p. 107
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Sublime, mon cher Giulio. Images terribles.
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