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samedi 6 février 2010

La fondation de Mahdia

Vue satellite de Mahdia. C'est sur la presqu'île que furent bâtis, sous les ordres d'al-Mahdi, le palais du Calife, les bâtiments administratifs, la grande mosquée, le port et l'arsenal. La péninsule était ceinturée par une puissante muraille et un monumental porche (Skifa Kahla) situé sur l'isthme gardait l'entrée à la ville palatiale.


La fondation de Mahdia :

La ville de Mahdia, dans l'actuelle Tunisie, tient son nom de son fondateur Ubayd Allah al-Mahdi (encore appelé Muhammad al-Mahdi) qui après avoir choisi son site et ordonné sa construction, s'y installa en 921.
Si tous les auteurs arabes s'accordent pour attribuer la paternité de la fondation de Mahdia à Ubayd Allah, en revanche, ils divergent de quelques années concernant la date de début et de fin des travaux. Néanmoins, la plupart tombent d'accord pour avancer la date de 915-16 pour le commencement des travaux et de 918 pour celui de l'achèvement.

Les chroniqueurs nous apprennent également qu'al-Mahdi chercha longuement un emplacement idéal pour sa nouvelle capitale avant d'arrêter finalement son choix sur la presqu'île de Jummi (ou Jumma). L'historien tunisois Abd Allah al-Tijani qui vécut à Mahdia au début du XIVe siècle, écrit :
"Ubayd Allah al-Mahdi sortit (de Raqqada) en l'an 912, il se dirigea vers la ville de Tunis et il visita Carthage, puis il passa dans d'autres villes du Sahel cherchant un endroit de la côte où il pourrait fonder une ville et où il pourrait se retrancher lui et ses descendants...Il ne trouva pas d'endroit meilleur que celui où devait se trouver Mahdia et il traça alors les plans de son palais..." [1]

Le grand historien Ibn Khaldoun nous rapporte un récit plus détaillé de la construction de Mahdia et les raisons qui poussèrent le souverain à l'édifier :
"La perspective du danger auquel l'empire serait opposé dans le cas où les Kharidjites (de l'Ifiqiya) prendraient les armes, décida le Mahdi à fonder sur le bord de la mer une ville qui pût servir d'asile aux membres de sa famille. L'on rapporte, à ce sujet, qu'il prononça les paroles suivantes : je bâtirai cette ville pour que les Fâtimides puissent s'y réfugier pendant une courte durée de temps. Il me semble les y voir, ainsi que l'endroit en dehors des murailles où l'homme à l'âne viendra s'arrêter. Il se rendit lui-même sur la côte afin de choisir un emplacement pour sa nouvelle capitale, et, après avoir visité Tunis et Carthage, il vint à une péninsule ayant la forme d'une main avec le poignet ; ce fut là qu'il fonda la ville qui devait être le siège du gouvernement. Une forte muraille garnie de portes de fer, l'entourait de tous les côtés. On commença les travaux vers la fin de l'an 303 (juin 916). Il fit tailler dans la colline un arsenal qui pouvait contenir cent galères ; des citernes et des silos y furent creusés par son ordre, des maisons et des palais s'y élevèrent et tout ce travail fut achevé en l'an 918-19. Après avoir mené à terme cette entreprise, il s'écria : "je suis maintenant tranquille sur le sort des Fâtimides !" [2]

Ce texte d'Ibn Khaldoun appelle plusieurs remarques :
- il récapitule l'essentiel des informations que l'on trouve chez la plupart des auteurs arabes, à savoir : la recherche du site, la volonté de construire une capitale par mesure de sécurité, la prémonition du Mahdi concernant l'homme à l'âne et enfin l'élévation de puissantes murailles autour de la ville ;
- Ibn Khaldoun évoque la perspective du danger kharidjite comme motif de construction de Mahdia ; cette révolte kharidjite menée par le charismatique boîteux Abu Yazid, surnommé "l'homme à l'âne", fut à deux doigts d'emporter la dynastie fâtimide sous le règne d'al-Qa'im (r. 934-946), le successeur du Mahdi ; les troupes kharidjites parvinrent alors aux pieds de la muraille de Mahdia qui subit un siège long de plusieurs mois jusqu'à ce qu'une sortie audacieuse des assiégés ne mette en déroute les insurgés ;
- la curieuse histoire concernant la prémonition qu'aurait eue le Mahdi de la révolte de l'homme à l'âne ; cette légende nous la trouvons mentionnée également chez d'autres auteurs mais sa naissance demeure un mystère ;
- Notons enfin la comparaison du site de Mahdia avec la forme d'une main et son poignet ; le géographe al-Muqaddasi soulignait quant à lui qu'on ne pouvait pénétrer dans la ville que par un chemin étroit "comme une lanière de chaussure".

Contexte historique et raisons de la fondation de Mahdia :

Les Fâtimides accédèrent au pouvoir en Ifriqiya, en 909, en s'emparant de Raqqada, la capitale de la dynastie régnante des Aghlabides, située près de Kairouan.
Cette accession au pouvoir provoqua dans le monde musulman une véritable onde de choc et bouleversa l'échiquier politique dans le Maghreb. Avec les Fâtimides, les chiites parvenaient pour la première fois au pouvoir dans le monde arabe, et un Califat rival de celui des Abbassides installé à Bagdad, était proclamé à Raqqada. Autre fait marquant, pour la première fois depuis la conquête arabe, les berbères relevaient la tête et prenaient le dessus sur les arabes dans le Maghreb. C'est, en effet, à la tête d'une armée composée de berbères de la tribu des Kutama, convertie à l'Ismaélisme, que le da'i Abu Abdallah al-Shi'i conquit Raqqada et mit en déroute les troupes aghlabides.
La prise de pouvoir fut, comme l'on pouvait s'y attendre, suivie d'une grande instabilité politique. Des révoltes éclatèrent un peu partout en Ifriqiya. Dans les grandes villes, peuplées essentiellement d'arabes sunnites, des massacres de chiites et de berbères furent perpétrés, comme à Kairouan en 912-13. Dans les montagnes de l'Aurès, pourtant peuplées de berbères, des insurrections se produisirent là-aussi. La prééminence des Kutama exacerbait et envenimait les rivalités et les jalousies déjà anciennes entre les tribus. Mais le plus grand danger pour le Mahdi lui vint de son propre camp. Le da'i Abu Abdallah al-Shi'i, aiguilloné par son frère, avait rejeté son allégeance envers son ancien maître et réclamait à présent le pouvoir pour lui-même. Les deux frères fomentèrent une conjuration visant à renverser le nouveau souverain. Ubayd Allah réagit énergiquement et se révéla à la hauteur de sa nouvelle fonction de calife. Il envoya ses fidèles Kutama rétablir l'ordre dans les foyers d'insurrection et rassura les populations des villes en garantissant la tolérance religieuse à toutes les communautés confessionnelles. La conspiration du da'i échoua et l'on retrouva les deux frères assassinés dans des circonstances mystérieuses.
Nous pouvons vraisemblablement admettre que ce climat d'insécurité ait poussé Ubayd Allah à fonder une nouvelle capitale, située loin des montagnes de l'Aurès et des anciens centres du pouvoir. Le choix du site pour Mahdia constitue un véritable coup de génie du souverain fâtimide, comme nous le confirme l'archéologue et géographe, E. F. Gautier qui nous décrit les atouts exceptionnels de sa situation :
" Ce golfe des Syrtes y est unique : une mer semée d'îles, sans profondeur, sur un socle continental qui s'étend loin, vivifiée par une marée sensible. Le Maugrebin, partout ailleurs terrien indécrottable, devient ici un marin. Il y a là un liseré de population amphibie qui vit largement de ses olivettes et de sa pêche... Dans ce pays unique, le site de Mahdia l'est aussi. Sur cette côte des Syrtes, très empâtée, on trouverait difficilement un autre promontoire péninsulaire comme celui de Mahdia, aussi long et mince, et rattaché à la terre par un "poignet" aussi fin. Pour y placer la capitale d'un empire, il faut évidemment tenir la mer. Mais les Arbélites, maîtres de la Sicile, avaient nécessairement laissé une flotte à leurs successeurs. Ce point réglé, le choix de Mahdia était très intelligent. Mettez derrière de solides remparts, de tenaces fantassins kabyles. Nul ne pourra empêcher la population amphibie de la côte de vaquer au ravitaillement. Et pas de populace de grande ville à nourrir et à tenir en respect. C'est imprenable, un autre Ikdjan [3], mais bien mieux adapté aux nécessités et aux responsabilités nouvelles". [4]

Mahdia fut ceinturée par une puissante muraille qui courait le long de tout le rivage de la péninsule. La muraille était renforcée à intervalle régulier par des tours fortifiées. Un monumental porche (la Skifa Kahla), situé à l'entrée de la presqu'île et comportant des portes massives en fer, gardait l'entrée de Mahdia. La ville palatiale était ainsi défendue de tout péril venant de la terre comme de la mer. Plusieurs sources nous rapportent le soulagement du Mahdia en voyant sa capitale terminée : "Je suis maintenant tranquille sur le sort des Fâtimides" ou encore : "Maintenant, je suis tranquille sur le sort des filles fâtimides." [5]
Ajoutons également que le choix du site de Mahdia, en bordure du littoral, avait également pour but, outre les raisons de sécurité que nous avons évoquées, de permettre à Ubayd Allah de réaliser son grand dessin de conquête de l'Orient, avec dans un premier temps la prise de l'Egypte et à terme celle de Bagdad elle-même. L'ancien port punique qui existait sur le site fut creusé et considérablement agrandi. Ibn Khaldoun nous dit qu'il pouvait recevoir jusqu'à cent galères. Grâce à ce port, Mahdia devint, au niveau des échanges commerciaux, le port le plus actif du Maghreb. Un arsenal fut construit dans la colline située près du port. Les Fâtimides purent ainsi s'équiper d'une flotte militaire puissante. Elle assura à la dynastie la suprématie en Méditerranée pendant un demi-siècle. Le poète Ibn Hânî nous a laissé dans son recueil de poésie une description particulièrement vivante et enthousiaste de la flotte fâtimide.

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[1] [2] [5] Lucien Golvin, Mahdya à la période Fatimide, in Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N° 27, 1979, pp. 75-98
[3] Ikdjan était le fief des berbères Kutama et c'est en ce lieu que le da'i Abu Abd Allah al-Shi'i avait élu résidence et en avait fait le centre de la prédication ismaélienne (dâr al-hijra).
[4] Farhad Dachraoui, Le califat fatimide au Maghreb, Tunis, 1981, p. 386. (Cette thèse du savant tunisien Farhad Dachraoui, présentée en 1970 à la Sorbonne, est la référence essentielle et incontournable pour qui s'intéresse à la période fatimide au Maghreb).



3 commentaires:

Jalel El Gharbi a dit…

Merci pour cette belle page tunisienne.
Amicalement

Pier Paolo a dit…

Oui, cher Jalel, quel beau pays vous habitez. Tenez, pour vous, ces belles lignes sur Mahdia du poète Moncef Ghachem :
"...A l'est, comme au sud et au nord, Mahdia est à la mer. Elle boit le soleil et elle se laisse laper par le vent. A l'ouest, elle se perd dans la forêt d'oliviers. Et Mahdia est un rocher plutôt étroit mais qui, sur les ondes, voyage...".
Je vais bientôt me plonger dans la lecture de son livre : "L'épervier" dont les nouvelles ont pour cadre Mahdia la blanche.

Jalel El Gharbi a dit…

Cela fera plaisir à Moncef Ghachem. Bonne lecture.
Amicalement