En 1953, Elias Canetti se rend à Marrakech en compagnie d'amis anglais qui tournent un film au Maroc. Ce voyage est une véritable révélation pour lui. L'écrivain est emporté par le tourbillon des couleurs, des odeurs, des gestes et des voix. Installé à Londres, Elias Canetti commence en 1958, la composition d'un ouvrage basé sur ses impressions les marquantes de Marrakech. Ce sera Les voix de Marrakech. A travers de courts chapitres, l'auteur nous rend compte de ses observations et de ses émotions, tout en partageant avec nous, sur le ton de la confidence, ses réflexions philosophiques.
Dans le premier chapitre Rencontre avec des chameaux, Elias Canetti nous fait part de sa vive émotion en apprenant que les chameaux qui ont été amenés à Marrakech par les hommes en bleu (les Touaregs), l'ont été dans le but d'être vendus aux abattoirs pour être mangés ensuite. Dans l'extrait ci-dessous, l'écrivain nous narre sa première rencontre avec les chameaux.
Rencontre avec des chameaux
"Quelques jours plus tard, nous longions les remparts ; le soir tombait, la splendeur rouge de la muraille allait s'éteignant. Je fixai mon regard aussi longtemps que je pus sur la fortification et je goûtai le changement graduel de sa couleur. C'est alors que je distinguai, dans son ombre, une nombreuse caravane de méhara. La plupart étaient baraqués, d'autres étaient encore debout. Des hommes enturabannés allaient et venaient parmi eux, affairés mais cependant tranquilles. C'était une image de paix dans le crépuscule. La couleur des chameaux se confondait avec celle de la muraille.
Nous descendîmes de voiture et nous nous mêlames aux animaux. Une bonne douzaine d'entre eux étaient baraqués en cercle autour d'une montagne de fourrage. Ils allongeaient le cou, attiraient le foin dans leur bouche puis, rejetant la tête en arrière, ils le mâchaient paisiblement. Nous les examinions attentivement et voilà que nous leur découvrions des visages. Ils se ressemblaient tous, mais ils étaient néanmoins tous extrêmement différents. Ils rappelaient une assemblée de très dignes vieilles dames anglaises en train de prendre le thé, s'ennuyant ferme mais avec tout de même, au coin de l'oeil, une lueur de méchanceté mal dissimulée.
"On dirait vraiment ma tante", dit mon ami anglais auquel j'avais, avec tact, fait remarquer l'analogie avec ses compatriotes et nous trouvâmes bientôt beaucoup d'autres connaissances."
Elias Canetti, Les voix de Marrakech, Le Livre de poche
4 commentaires:
Très pittoresque, cher Pier. Dommage en somme que le terme chameau soit en train de tomber en désuétude pour désigner une femme méchante ou acariâtre, un poison, une vieille bique ou une vache. Ce dernier comparatif est particulièrement injuste, pour la vache, bien sûr, douce créature à laquelle j'ai la plupart du temps envie de dire: "t'a d'beaux yeux, tu sais".
Trêve de compliments. Vois donc ça :
http://www.a-d-o.fr/share/vache_qui_rit.jpg
Canetti, Les voix de Marrakech, voilà un livre que j'aurais pu amener la dernière fois à Marrakech. Le lait de chamelle est très rare, délicieux et excellent pour tout : on n'en trouve hélas pas en France...
Enregistrer un commentaire