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samedi 23 janvier 2010

Saint-John Perse : Désert et mer


Pour Saint-John Perse, le désert est pour l'esprit comme l'envers même de la mer... :
"Cher ami,
[...]
C'est en Ouest, non en Est, que s'exerce pour moi l'aliénation chinoise, la même aliénation que crée en nous l'étrange anonymat de certaines mers. Quelque chose, en somme, d'assez extra-planétaire.

La terre ici, à l'infini, est le plus beau simulacre de mer qu'on puisse imaginer : l'envers et comme le spectre même de la mer. La hantise de mer s'y fait étrangement sentir. Une chose mystérieuse que j'ai pu moi-même constater, c'est en terre haute d'Asie et au coeur même du désert, cheval et cavalier se tournent encore d'instinct vers l'Est, où gît la table invisible de la mer et le site du sel. La contrée silencieuse fait alors à l'oreille comme un murmure lointain de mer. Et dans toutes les lamaseries mongoles ou tibétaines, où il n'est pas un homme qui ait jamais vu la mer, toute la liturgie est sur fond d'évocation de mer, les conques de mer sont associées au culte, le corail et les nacres sont ornements d'autel, et les grandes trompes sur affûts aux terrasses d'angle des temples sont utilisées pour entretenir, aux bas offices, le mugissement de l'Océan. Dans le regard des chameliers rencontrés au désert de Gobi, j'ai cru parfois surprendre comme un regard d'hommes de mer. Et j'ai d'ailleurs croisé, aux abords du désert, des charrettes nomades qui se gréaient d'une voile comme en mer. Les mouettes et sternes du Gobi, dont j'aimerais parler un jour à votre ami Hudson, entretiennent aussi la même illusion. (En fait, elles descendent de mer arctique par les bassins fluviaux de la Russie du Nord.)

Il y a, dans toutes ces nappes terrestres de la haute Chine intérieure, de vastes dépressions ou cuvettes qui s'encastrent comme d'anciens fond de mer. C'est pour l'esprit comme l'envers même de la mer : la terre qui se veut mer, ou la mer, par moquerie, qui se fait sédiment - unité retrouvée, malaise dissipé.

Cette transposition marine, familière au géologue, explique-t-elle pourquoi les anciens astronomes, penchés sur leurs meules de verre, ont été inconsciemment portés à baptiser du nom de "Mers" les grandes excavations d'écorces terrestre de la Lune et autres planètes ?"

Le Désert de Gobi (extrait d'une lettre à Conrad) in Le livre des déserts, Robert Laffont, 2006

3 commentaires:

giulio a dit…

Oui, mais chez Saint-John Perse, le désert, appartient plutôt au 2e des 4 éléments (feu, terre, eau, air), donc à la terre, soubassement dans Anabase de la Ville-poème. La mer n'y est que transition. Perse écrit : «Mon âme est pleine de mensonge, comme la mer agile et forte sous la vocation de l’éloquence (...) Et le doute s’élève sur la réalité des choses.»

Note tout de même que, personnellement, je suis loin d'abonder dans le sens de Perse.

Lama a dit…

Très amusant ce regard croisé mer-désert. Ne dit-on pas au reste une "tempête" de sable, etc.

christiane a dit…

Magique ce sable du ciel adossé à l'eau des mirages...