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mardi 1 décembre 2009

Ibn Hânî : "A nos mères"


"A nos mères revient la moitié de notre gloire, chaque fois qu'un noble seigneur parmi nous vante son lignage.
Ce sont elles le fondement de notre renommée car elles nous ont donné le jour ; elles sont les égales en grandeur de nos pères
Ne les voit-on pas rivaliser avec nous et nous battre à l'arrivée, en atteignant les plus hauts sommets !
Tout en étant les gardiennes de nos foyers, se remettant à nous de leur défense et de leur protection
Tout en demeurant enfermées dans leurs tentes, elles sont pour nous et les yeux et les oreilles
Aussi, si je pouvais proposer mon opinion au monde, et s'il m'était donné de remodeler le partage des humains
J'appellerais "hommes" certaines femmes et à certains "hommes", j'octroierai le nom de "femmes".
Source : Mohammed YALAOUI, Un poète chiite d'Occident au IVe/Xe siècle : Ibn Hânî al-Andalusî, Tunis, pp. 246-247

4 commentaires:

giulio a dit…

Quelques jours de calme et voilà notre Pier qui se déchaîne. Trois billets coup sur coup - Super! Quoiqu'il en soit, s'il n'y a en général pas grand chose à commenter à tes textes, l'ami, puits de science auquel on ne peut que, reconnaissants, s'abreuver, d'étranges contradictions apparaissent toutefois, par ci, par là. Ce texte en contient, et de taille.
Si les premières phrases chantent en effet la grandeur de la femme, de la mère, ainsi que l’égalité homme - femme de manière parfaitement fifty-fifty (celle-ci restant néanmoins cantonnée à sa tente, mais passons… O tempora, o mores + never ending story), les dernières lignes ne peuvent s’empêcher de revenir à la phallocratie bien-pensante des religions du Livre. Sinon, pourquoi dans son désir de « remodeler le partage des humains, (l’auteur) appellerait "hommes" certaines femmes et à certains "hommes", octroierait le nom de "femmes" », sinon dans un sens magnifiant pour les hommes (les vrais), auxquels (certaines) femmes peuvent ressembler, mais dépréciatif pour les femmes lato sensu, auxquelles certains hommes (femmelettes) peuvent être identifiés ?

Pier Paolo a dit…

Ah Giulio, je te reconnais bien là, toujours à cran (et à juste titre et d'une manière tout à fait louable) contre les injustices et les travers de la société. Moi, personnellement, j'ai été frappé par la modernité incroyable de ce poème rédigé au Xe siècle. Ce recul et cette position sur la femme que l'auteur arrive à adopter à une époque de règne phallocratique - où la question sur le statut et la condition de la femme ne se posait même pas - sont proprement hallucinants. Je me demande si cette ouverture d'esprit dont fait preuve Ibn Hânî, on ne doit pas dans une certaine mesure l'attribuer à son chiisme et le rôle que Fatima joue dans cette branche de l'Islam. D'ailleurs, M.Yalaoui se demande si Ibn Hânî en rédigeant ce poème ne pensait pas justement à Fatima en tant que mère de la lignée des Imams.
Quant à la dernière phrase du poème, Ibn Hânî s'exprime là-aussi selon la vision de ses contemporains concernant le véritable "homme" ou la véritable "femme" car lui-même était sans doute selon M.Yalaoui homosexuel. D'ailleurs, ce soir, je te mettrai une strophe particulièrement hardie (voire crue) concernant l'orientation sexuelle d'Ibn Hânî.

giulio a dit…

C'est vrai qu'il était formidable pour l'époque et que des milliards d'hommes ne sont pas encore aussi avancés que lui de nos jours.
D'autre part, être un maître expose à des critiques (pour des mots, tournures ou nuances) dont le commun se sentirait flatté. Question d'aune!
Tiens en outre présent que mes critiques sont toujours bornées par ma compréhension très partielle des choses, mais se veulent constructives et j'aime les adresser à ceux qui les méritent; jamais aux cas désespérés.

Pier Paolo a dit…

Délicat et touchant Giulio, je crois que tu te serais bien entendu avec Ibn Hânî et qu'il aurait considéré comme un honneur de recevoir tes remarques.
En lisant les différents poèmes d'Ibn Hânî, on est frappé par l'extrême variété des thèmes qu'il a abordés, sans doute avec un bonheur plus ou moins grand, mais qui démontre la nature complexe de sa personnalité. Ibn Hânî était un amateur des plaisirs de la vie et il chante allégrement le bon vin, la bonne chère, les réunions joyeuses, les plaisirs charnels, les chevaux, la nature, mais aussi son attachement profond et son amour pour al-Mu'izz. M. Yalaoui est convaincu de la sincérité de son chiisme et que la composition des poèmes panégyriques n'était pas mûe par la recherche des prébendes du Calife et Imam al-Mu'izz.
Pour en revenir au poème, dans le dernier vers, j'ai personnellement trouvé qu'Ibn Hânî enfonçait le clou en proclamant même la supériorité de certaines femmes sur certains hommes et que ce constat peut nous emmener d'une certaine manière à dire qu'Ibn Hânî n'était pas convaincu de la supériorité des hommes sur les femmes. Je pense que ce dernier vers a dû être considéré à son époque comme un sacrilège ou une hérésie.
Ibn Hânî a composé des pièces très courtes où étant en dehors de tout cadre officiel, il se laisse aller à son penchant pour l'homosexualité, même si là-aussi, on ne soit pas sûr qu'il ne sacrifie pas à un lyrisme en vogue à son époque sur ce genre de sujet (on pensera à Abu Nuwas, le grand chantre des débauches). Voici un fragment où le poète réplique à sa bien-aimée qui l'accuse de nourrir des amours contre nature :
"Femme, ne me blâme point ! Je ne suis pas de ceux qu'attire une Hind ou une Zeyneb.
Mais c'est vers un faon [mâle] que mon coeur porte ; il est doué de trois qualités précieuses que tout homme recherche :
Il ne craint point les menstrues ; il n'est pas sujet aux grossesses ; au surplus, il n'est pas tenu de dérober ses charmes à mon regard !"
Amitiés.