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lundi 28 décembre 2009

Alexandre Lézine : "La Grande Mosquée de Mahdia"


Alexandre Lézine (1906-1972), archéologue et directeur des monuments historiques de Tunisie, mena au début des années 1960 des fouilles archéologiques importantes à la Grande Mosquée de Mahdia. Les résultats de ses recherches permirent de dégager le plan originel et de restaurer la mosquée selon son état lors de sa construction en 916 par l'Imam et premier calife fatimide Muhammad al-Mahdi, encore appelé Ubayd Allah al-Mahdi (règne de 909 à 934).
Le texte ci-dessous est le compte-rendu par Alexandre Lézine lui-même des travaux de dégagement effectués à la Grande Mosquée de Mahdia. L'archéologue nous détaille l'architecture de cette mosquée et les principales modifications que le bâtiment a subies au cours des siècles. Les lecteurs peuvent retrouver l'article en cliquant
ici. Ils constateront que j'ai supprimé quelques notes de pages alourdissant le texte et que j'ai rectifié au niveau de la partie concernant l'histoire de la mosquée, l'erreur typographique indiquant comme troisième, le deuxième état de la mosquée. Les lecteurs intéressés pourront avoir une vue d'ensemble abrégée de la mosquée et admirer avec précision quelques uns de ses éléments d'architecture en cliquant ici.

"En 1960 et 1961, la grande mosquée de Mahdia a fait l'objet d'importants travaux de dégagement et de fouilles qui ont apporté tout un ensemble d'informations nouvelles sur son compte [1].
La façade du Xe siècle


L'enlèvement des terres, devant cette façade (qui était enterrée de plus d'un mètre) a permis de rendre au porche monumental ses véritables proportions. Des banquettes [2] de maçonnerie, adossées au bas du mur, ont été remises au jour. Elles ne datent pas du temps des Fatimides, mais seulement de la deuxième moitié du XIe siècle. Les deux portes secondaires, percées dans le mur de part et d'autre du porche, ont été refaites à la même époque.
Aux deux extrêmités, la façade est flanquée de grosses tours d'angle à peu près carrées et dont les parements présentent un léger fruit. Elles contiennent, toutes les deux, des citernes cylindriques, voûtées en coupole, qui recevaient les eaux pluviales des terrasses de la mosquée.
Ces tours ne sont donc pas les bases de minarets disparus comme on l'avait supposé autrefois.
Cet emplacement particulier des réservoirs d'eau s'explique par la très faible élévation, au-dessus du niveau de la mer, du sol de la grande cour [3]. Il était impossible d'aménager ici des citernes enterrées semblables à celles que l'on trouve sous le dallage de la cour, dans tant d'autres mosquées.
La salle de prières


La salle de prières du XIXe siècle a été détruite en 1960. Les fouilles effectuées à son emplacement ont remis au jour les fondations de la salle de prière primitive et les murs arasés des différentes différentes modifications qu'elle avait subies au cours d'un millénaire.
Le mur de la qibla, dans lequel était creusé le mihrab décoré de coquilles, que M. Georges Marçais avait découvert autrefois, n'est pas celui du Xe siècle. Les arasements des murs latéraux de la salle primitive se prolongent, en effet, vers le Sud, au-delà de son alignement.
On a découvert, en outre - en démontant le mur de la qibla - les vestiges de deux gros piliers polylobés qui étaient dissimulés dans son épaisseur, de part et d'autre du mihrab à coquilles.
La découverte de ces piliers présentait un double intérêt. Un nouveau type de support - inconnu jusque-là en Ifriqiya - prenait place dans le répertoire des formes architecturales. Par ailleurs, elle rendait possible la restitution du plan de la salle ubaydite, les fondations de tous les autres points d'appui intérieurs ayant été retrouvées [4].
Les piliers polylobés étaient destinés à supporter la coupole placée en avant du mihrab primitif. Leur écartement est donc égal à la longueur d'un côté du carré dans lequel s'inscrivait cette dernière. A partir de là, une simple construction graphique permettait de rétablir l'alignement du mur de la qibla.
La salle de prière fatimide occupait toute la longueur du terrain [5]. Elle était divisée en neuf nef, celle du centre étant plus large que les autres. Un transept, de même largeur que la nef axiale, s'étendait le long du mur de la qibla. Une coupole se trouvait à l'intersection de ces deux éléments majeurs de la composition. Les nefs comportaient trois travées d'arcs reposant sur des colonnes jumelées.
La salle était couverte d'une terrasse à solivage en bois [6]. La hauteur de la nef centrale et du transept devait être nettement supérieure à celle des nefs latérales.
Une simple couche de mortier de chaux tenait lieu de pavement au sanctuaire.
La grande cour, à peu près carrée, était bordée de portiques sur les quatre côtés. Ces galeries, plafonnées en bois, étaient constituées par des arcs reposant sur des colonnes simples, au Nord, à l'Est et à l'Ouest, et jumelées, au Sud, c'est-à-dire devant la salle de prières.
(L'unité de mesure utilisée par le constructeur fatimide était une coudée de 54 cm. Ce n'est autre que la coudée du nilomètre du Caire) [7].


Histoire de la mosquée

L'étude des vestiges permet de reconnaître six états différents du monument, si l'on néglige les modifications de détail.
Une première réfection de la salle de prières est prouvée par une surélévation de 10 centimètres du sol et la présence à ce niveau de déchets de brique cuite qui attestent une modification des super-structures. On peut penser qu'il s'agit des vestiges de voûtes légères qui auraient remplacé les plafonds en bois - sans doute à la suite d'un incendie. Il n'est malheureusement pas possible de déterminer la date de cette réfection qui n'a apporté aucune modification au plan primitif [8].
Dans un deuxième état, en revanche, le plan subit une importante altération. Le mur de la qibla est reconstruit à 6 m. 20 au Nord de son premier alignement. Privée désormais de transept, la salle est limitée à trois travées en profondeur. Une nouvelle coupole - supportée cette fois par des faisceaux de colonnes antiques - est construite en avant du mihrab à coquilles.
La cause du rétrécissement de la salle est facile à déterminer. Les enrochements qui supportaient l'extrémité sud de la plate-forme artificielle, gagnée sur la mer pour recevoir la mosquée, n'ont pas résisté à l'action destructrice des vagues.
Au cours de la même campagne de travaux, le portique nord de la cour a été transformé [9] ; on a modifié les deux portes secondaires de la façade et aménagé des banquettes de repos devant celle-ci.
Ce deuxième état de la mosquée est caractérisé par l'apparition de formes architecturales nouvelles [10] et la modification des procédés de construction. La pierre de taille est différente (elle est plus blanche), sa mise en oeuvre également. La composition du mortier a changé : il comporte une forte proportion de cendre.
Nous savons que la ville a connu, entre 948 et 1057, une période de semi-abandon, au profit de Sabra Mansuriya. Les monuments publics se dégradèrent alors, faute de soins [11].
[Le troisième état de la mosquée débute avec] le retour des Zirides à Mahdia, en 1057, sous la pression des Hilaliens. Il a marqué le début d'une renaissance de l'ancienne capitale.
Le troisième état de la mosquée peut d'autant mieux être daté de cette période qu'elle paraît convenir particulièrement bien au style du mihrab à coquilles [12].
Dans un quatrième état, la salle de prières est agrandie vers le Nord, au détriment du portique sud. La construction est beaucoup moins soignée qu'auparavant. Cet agrandissement a sans doute été imposé par l'accroissement démographique que la cité a connu à la fin du XIe siècle par suite de l'insécurité croissante des campagnes.
En 1088, Mahdia fut prise, pillée et incendiée par les chrétiens. La reconstruction du quatrième état pourrait être rattachée à ce événement historique.
Le cinquième état de la mosquée est tout différent. La grand salle de prières est détruite et abansonnée. Une nouvelle salle, petite et assez misérable, est construite au milieu de la grande cour. L'emplacement de la grande salle est utilisée comme cimetière pendant un temps très court [13].
Cette modification de l'état des lieux est sans doute imputable aux destructions qu'effectuèrent les troupes de Charles Quint, en 1553, avant d'abandonner la place forte.
Le sixième état est celui que nos prédecesseurs ont connu et dont K.A.C. Creswell a publié le plan.


Conclusion

Les nouvelles découvertes faites à Mahdia, permettent d'apporter quelques précisions à nos connaissances sur l'architecture ifriqiyenne du Xe siècle.
La place de la mosquée fatimide s'inspire directement de la grande mosquée de Kairouan. Il nous fournit le chaînon manquant de la filiation que l'on pressentait entre les mosquées maghrébines à nef centrale dominante et les premières réalisations des Fatimides en Egypte.
Le porche monumental, en revanche, est bien un innovation. Il résulte d'une particularité de la doctrine chiite. Cette mosquée diffère essentiellement des autres en cela qu'elle est, en premier lieu, bâtie pour un seul homme. C'est la "mosquée de l'Imam", le chef des Croyants et le Mahdi. Le caractère majestueux, voire triomphal, de l'entrée est en rapport direct avec la qualité d'un pareil personnage.
Le porche monumental occupe la positon centrale qui est celle du minaret de Kairouan.
Le minaret réapparaïtra à cette même place dans les mosquées, après le retour des Zirides à "l'orthodoxie". On peut donc penser que l'appel à la prière était lancé, à Mahdia, du haut de la terrasse du porche qui était le point le plus élevé de la façade.
Les piliers polylobés qui supportaient la coupole fatimide n'ont pas fait école en Ifriqiya. Ce type de support n'était pas tout à fait inconnu auparavant. Les Omeyyades de Syrie l'avaient utilisé au VIIIe siècle. Mais il faut observer que des piliers trilobés sont déjà attestés en Afrique dans des basiliques paléo-chrétiennes.
On croyait autrefois que l'utilisation de la voûte d'arêtes s'était généralisée en Afrique sous la domination fatimide.
Cette conception doit être révisée. Pas plus dans la grande mosquée que dans les autres monuments fatimides de Mahdia, on ne trouve la moindre voûte à quartiers. Ce ne sont partout que des plafonds en bois ou des voûtes en berceau sur doubleaux, en tous points semblables à celle des monuments ifriqiyens des deux siècles précédents.
En fait, l'architecture fatimide, très sobre dans le domaine de la décoration, continue, plus encore qu'on ne le croyait, celle du siècle précédent. C'est essentiellement un art de la transition.
A la lumière des découvertes récentes on doit rendre aujourd'hui aux Zirides la paternité de certaines innovations que l'on attribuait auparavant à leurs prédecesseurs.
M. Gaston Wiet souligne que cet exposé est le résultat d'une étude minutieuse. Toutes les périodes de l'histoire de Mahdia se retrouvent sur le monument. Il est convaincu que les Fatimides ont employé exclusivement la voûte en berceau et jamais la voûte en d'arêtes.
M. Georges Marçais s'associe à l'observation de M. Wiet et adopte, en ce qui concerne les différents siècles de la construction, les conclusions de M. Lézine, notamment la filiation avec Kairouan.
________________________
[1] Les monuments fatimides de Mahdia ont été étudiés par Georges Marçais dans L'architecture musulmane de l'Occident.
[2] Hauteur 0, 90 mètres pour ces banquettes. Des banquettes analogues existent devant les façades orientales des mosquées de Kairouan et de Sfax. On dit encore aujourd'hui à Mahdia qu'il est salutaire de se reposer à l'ombre de la mosquée.
[3] Actuellement 1, 50 mètres environ
[4] Tous les autres points d'appui étaient des colonnes antiques remployées, en marbre ou en granit. Les bases et les chapiteaux s'échelonnent du IIe au VIe siècle de notre ère.
[5] Soit 54 mètres (100 coudées fatimides) à l'intérieur des murs.
[6] Ce qui est attesté à la fois par le grand écartement des points d'appui et des restes de bois calciné retrouvés dans la fouille.
[7] Cette coudée de 0, 54 cm était en usage en Mésopotamie depuis la plus haute antiquité.
[8] On peut toutefois penser que cette réfection est antérieure à 948, date du transfert de la cour à Sabra Mansuriya, ville qui fut fondée par l'Imam-Calife al-Mansur suite à sa victoire sur Abu Yazid (surnommé "l'homme à l'âne").
[9] Des arcades à piliers ont remplacé les arcs sur colonnes fatimides. Le portique a été couvert de voûtes d'arêtes en moellons.
[10] Arcs brisés des portes et du portique nord. Voûtes d'arêtes en moellons.
[11] Les chroniqueurs ont mentionné - pour cette période - la ruine complète et l'abandon du faubourg de Zuwaila. Comparer la déchéance de Raqqada après l'installation d'Ubayd Allah à Mahdia.
[12] Deux mihrabs de Monastir - dont l'un est daté de l'an 1000 - comportent sur leur tambour un décor de niches plates à celles du porche de Mahdia. Le mihrab primitif de la capitale fatimide a dû servir de modèle à toute cette série. Le mihrab à coquilles, en revanche, doit être rapproché des monuments de l'architecture hamdanite.
[13] On y a retrouvé une trentaine de squelette. Deux d'entre eux étaient inhumés dans la niche du mihrab sous des fragments de jarre. On a reconnu plusieurs squelettes d'enfants.

2 commentaires:

giulio a dit…

Quel splendide et inéressant travail, Pier l'encyclopédiste!
As-tu déjà un éditeur en vue pour ton prochain beau livre "Alamut"?
Si ce n'est pas le cas, il serait temps de t'y mettre.

Pier Paolo a dit…

Comme tu es gentil, Giulio. Mais très sincèrement, oui très sincèrement, et sans aucune fausse modestie, ce que je fais sur ce blog, ce n'est ni un travail d'historien, ni même d'un pseudo-historien ; ce blog c'est juste un amateur qui utilise ce moyen comme mémo pour ses lectures. Merci en tout cas pour ton appréciation. Ce momument a eu une histoire mouvementée. De son statut de mosquée de l'Imam à celui d'un cimetière, puis enfin sa restauration (une renaissance pourrait-on dire), il en a vu des choses. As tears/time/ go(es) by.
Bon réveillon à toi.