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lundi 28 décembre 2009

Georges Marçais à Tlemcen : As time goes by

Les terrasses de Tlemcen, Georges Marçais, 1902

Georges Marçais (1876-1962) fut, par ses travaux, un des pionniers de l'étude sur l'architecture islamique au Maghreb. Artiste peintre de formation, il découvre le monde musulman à l'occasion d'un voyage qu'il effectue à Tlemcen en 1902 pour rendre visite à son frère William, directeur d'une médersa dans cette ville. De retour en France, il entreprend des études d'histoire et de langue arabe. Georges Marçais est l'auteur de nombreux ouvrages sur l'art islamique. Il a été l'un des premiers à s'interesser et à étudier avec soin l'architecture fatimide en Tunisie dans son livre : "L'architecture musulmane d'Occident" paru en 1955.
Le texte ci-dessous est extrait de l'avant-propos de sa belle monographie consacrée à Tlemcen. Le savant évoque avec sensibilité et nostalgie, les hommes, la vie, les choses et le temps qui passe.
"J'ai vécu vers ma vingt-cinquième année dans une ville charmante. J'y ai connu une société musulmane infiniment sympathique, fière de son passé glorieux et fidèle au délicieux archaïsme de ses coutumes. J'y ai fréquenté des savants pieux et sans envie, à l'âme candide et aux vêtements immaculés, des marchands honnêtes, courtois, et dont les clients devenaient des amis, des gens du menu peuple aux goûts simples, cultivant leur jardin et en savourant les fruits, se réjouissant aux fêtes que l'année leur ramenait et n'imaginant pas qu'on pût être plus heureux ailleurs. A ce petit monde d'autrefois je dois pour une bonne part l'initiation qui m'attache aux choses de l'Islam et qui orienta mes études. C'est un peu pour lui payer une dette de reconnaissance que j'ai écrit les pages qui vont suivre. C'est pour fixer le souvenir d'une étape sereine de ma vie que j'ai entrepris de composer ce nouveau livre sur Tlemcen. Et sans doute un tel dessein n'est pas sans risque. L'image que je garde en ma mémoire est maintenant aux trois quarts périmée ; choses et gens se transforment d'année en année, et, à chaque retour, j'ai l'impression d'un charme qui s'évapore. Il est à craindre que le visiteur, qui s'avisera de prendre ce livre pour guide, [ne] ressente quelque humeur, s'il confronte la réalité présente avec celle que colora pour moi le reflet des jours heureux. Dans cette sous-préfecture algérienne retaillée par des urbanistes indiscrets, il reconnaîtra mal la ville musulmane qui me fut accueillante, il y a quarante-cinq ans, encore moins la cité royale dont la lecture des vieilles chroniques et des recueils d'hagiographie m'a permis de tenter une reconstitution fatalement hypothétique. Pour me faire pardonner du visiteur déçu, je compte sur les hasards dont le voyage favorise ceux qui savent en profiter, sur la surprise que lui réservent, en sortant d'une rue banale, le recueillement d'une cour de mosquée, la pur élégance d'un décor ciselé dans le plâtre ou découpé dans l'émail, ou mieux encore, s'il a l'heureuse inspiration de visiter Tlemcen au printemps, la vue d'un svelte minaret qu'enveloppe le vol des cigognes, ou d'un vieux rempart doré par le soleil, entre les oliviers et les cyprès, dans un jardin bordé de roses...".

4 commentaires:

giulio a dit…

Quel beau tableau! Certes, tempus irreparabile fugit. Certes, les chose changent, s'améliorent ou/et se dégradent. Mais davantage encore s'altère le regard que nous portons sur elles. Car hommes, jeunes, sujets à l'étonnement et à l'enchantement, puis vieillards amers aux souvenirs embellis par la distance, nous changeons bien plus que les choses vues/vécues et avec nous notre perception des choses.

"L'image que je garde en ma mémoire est maintenant aux trois quarts périmée" écrit Marçais. Mais cette belle image, vieille de 45 ans, devenue plus idyllique et superficielle d'année en année, il eût fallu un miracle pour qu'elle ne déçut pas
.

Pier Paolo a dit…

Heureux que ce tableau t'ait ému à ce point. Il est vraiment beau. J'avais pensé à intituler ce billet "As tears go by" d'après une des premières chansons des Rolling Stones. Mais bon, je m'en suis tenu finalement à une référence plus classique, celle de la chanson du fils "Casablanca". Bien à toi.

Pier Paolo a dit…

film "Casablanca" et non fils bien sûr

solko a dit…

Evocation très littéraire en effet, toute imprégnée de rêverie sur la mort du siècle précédent, le déclin de la tradition dans la société musulmane. On dirait qu'en effet partout la première partie du vingtième siècle et ses deux guerres aura durci le cœur même de l'humanité.