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dimanche 13 décembre 2009

Ibn Hânî et al-Mutanabbî

Le mythique café Shabandar dans la rue du marché aux livres al-Mutanabbi, à Bagdad
C'est à l'historien et biographe du XIIIe siècle, Ibn Khalliqan, que l'on doit la paternité du parallèle entre Ibn Hânî et al-Mutanabbi : "aucun poète, ancien ou récent, parmi les Maghrébins, n'atteint à la classe d'Ibn Hânî ; il est le plus grand des poètes du Maghreb, à l'égal de Mutanabbi chez les Orientaux".
La pièce XXI du Diwân d'Ibn Hânî est particulièrement importante pour comprendre la position d'Ibn Hânî à l'égard de son prestigieux contemporain al-Mutanabbi. C'est une pièce où sur le ton de la satire et du reproche, Ibn Hânî manifeste tout à la fois son admiration pour al-Mutanabbi mais aussi son agacement face à l'admiration excessive que les maghrébins portent au poète oriental et qui les conduit à sous estimer injustement leurs poètes locaux. Rappelons également le contexte de la composition de ce poème : le poète avait emprunté un exemplaire du Diwân de Mutannabi et il le garde si longtemps que son propriétaire s'impatiente et le réclame avec une insistance qu'Ibn Hânî juge insultante. Il rédige alors ce poème où il fustige l'impolitesse de l'homme et raille sa capacité à évaluer à sa juste valeur la qualité des poèmes d'al-Mutanabbi.
Quant à l'influence d'al-Mutanabbi sur notre poète, Mohammed Yalaoui l'estime limitée. Les thèmes identiques traités par les deux auteurs découlent du fait qu'ils étaient placés tous deux dans des situations similaires : le combat mené par leurs maîtres respectifs contre les byzantins. Certes, il ne peut manquer d'y avoir chez Ibn Hânî des traces d'influence d'al-Mutanabbi dans la manière d'écrire certains poèmes car le Diwân de ce dernier était célèbre au Maghreb, mais il faudrait se garder de forcer le trait car la ressemblance littéraire n'y est en définitive que superficielle. Lorsqu'Ibn Hânî est qualifié de "Mutanabbi du Maghreb", il faudrait y voir là le signe d'une incapacité des maghrébins à se soustraire à l'influence de l'Orient et à évaluer leurs talents indépendamment des références orientales. Car, une différence de taille séparait les deux poètes et cette différence faisait toute la force d'Ibn Hânî sur son illustre contemporain : la sincérité de son attachement à sa foi ismaélienne. Mohammed Yalaoui écrit à ce sujet :
"Au demeurant, le parallèle entre les deux poètes a ses limites ; une différence essentielle les sépare : Ibn Hânî, chantre des des Fatimides et de leurs lieutenants, était un poète dogmatique dont l'attachement à la cause chiite était assurément sincère ; sa fidélité au credo ismaélien éclipsa en lui toutes les caractéristiques du poète de cour et constitue en quelque sorte sa véritable originalité. Tel n'était pas le cas de Mutanabbi poète-courtisan qui a toujours rêvé de puissance sans jamais l'atteindre, qui a cru pouvoir y accéder en mettant son art au service des émir et roitelets qui se partageaient les dépouilles du califat abbasside, et dont l'attachement, tout sporadique, au chiisme, n'était qu'un pâle reflet de cet ismaélisme qui a teinté tout le X/IVe siècle musulman."

Pièce XXI du Diwân :

1. "al-Mutanabbi a acquis de la célébrité chez vous ; mais s'il avait connu votre sentiment sur sa poésie, il se serait déclaré [non pas prophète] mais impie et mécréant !
2. Modérez votre enthousiasme ! pour moi, Mutanabbi n'est pas le Prophète, et les maximes dont il émaille ses vers ne sont pas des sourates
3. Vous nous marquez du dédain sous prétexte que vous l'avez connu, mais en avez-vous vu seulement l'ombre ou la trace ?
4. Cependant [en dépit de cette admiration] vous ne lui avez pas rendu justice, et si l'on cite son nom un jour ce ne sera pas parce que vous aurez travaillé à sa renommée
5. Pauvre de lui ! poète condamné à l'obscurité parce que vous n'avez pas réussi à nous montrer ses mérites et son talent.
6. De ses poèmes, vous donnez des gloses qui font de lui la risée des hommes et des djinns !
7. Vous dénaturez sa pensée, vous falsifiez son expression et vous dites après cela qu'il n'est pas éloquent
8. Comment, [dans ces conditions,] pouvez-vous jurer que vous avez étudié avec lui [son propre diwân] ; est-ce donc avec une pierre que vous avez causé ?
9. Que peut nous apprendre votre commentaire de ses vers ? ne voyons-nous pas en vous des erreurs qui donnent à réfléchir ?
10. Cette poésie dont vous prétendez avoir fait le tour, peut-être en avez-vous disputé avec les ânes et les chamelles ?
11. Si l'auteur [de ce diwân] entendait vos gloses, il [regretterait] ses nuits passées à écrire et à corriger
12. [Par ce commentaire,] vous nous avez donné un aperçu de vos talents de transmetteur et d'éxégète ; tout comme un Barbare qui rapporte un message auquel il ne comprend groutte !
13. Message sourd et aveugle mais auquel j'ai redonné l'ouïe et la vue, par mes veilles studieuses;
14. Ces vers, ténébreux comme la nuit compacte, j'ai pris sur moi de les élucider, mais lorsqu'enfin leur clarté éclipsa celle du soleil et de la lune
15. Alors, vous avez lâché contre moi vos critiques et vos médisances, et vous avez montré de l'ennui et de la contrariété
16. Et, pour me réclamer l'ouvrage, vous avez dépêché messages et émissaires, en vagues successives,
17. S'il avait pu soupçonner les déboires que me vaut votre ouvrage (le commentaire) et les altérations que vous faites subir à ses vers, il aurait renoncé à les composer !
18. Si, à le ramener à la vie, vous mettiez la même ardeur qu'à me réclamer son diwân, il serait déjà ressuscité !
19. Supposons que je vous restitue le livre dans sa totalité, qui pourrait vous restituer la pensée de son auteur?
20. Car, en vous rendant la matière apparente, je ne vous en livre pas le sens caché
21. Vous m'avez prêté un ouvrage important, dans une enveloppe de cuir ; soit ; mais qui peut vous prêter la faculté de réflexion et de recherche ?"

Source : Mohammed YALAOUI, Un poète chiite d'Occident au IVe/Xe siècle : Ibn Hânî al-Andalusî, Tunis
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[1] Le poète al-Mutanabbi (915-965) est considéré comme un des plus grands poètes du monde arabe. Il naquît à Kufa, dans un milieu chiite, d'un père porteur d'eau. al-Mutanabbi signifie "celui qui se dit prophète", il acquit ce sobriquet suite à une révolte qarmate (groupuscule chiite affilié à Hamdan Qarmat) qu'il aurait fomentée à l'âge de 17 ans dans la région de Lattaquié, en Syrie. Il se fit ensuite panégyriste brillant de son maître hamdanide al-Sayf al-Dawla, à Alep, dans sa lutte contre Byzance. Puis, il devint le panégyriste de Kafur, le maître de l'Egypte et enfin du Bouyide Adud-al-Dawla, établi à Bagdad. al-Mutanabbi périt dans une attaque de caravane par des brigands, non loin de Bagdad. Le poète est connu pour exprimer une idée d'une manière particulièrement condensée et brillante confinant à la maxime.

La rue al-Mutanabbi et son marché aux livres, à Bagdad

4 commentaires:

giulio a dit…

Vois aussi: http://fr.news.yahoo.com/.../twl-de-notre-envoy-spcial-le-cinma-iraki-5231d91.html

Pier Paolo a dit…

Bonsoir Giulio,
Le lien ne fonctionne pas ; de quoi s'agit-il au juste ?

giulio a dit…

Un article de l'Express.
Effectivement, placé en haut, le lien ne marche pas. Il faut l'inscrire (copy-paste, je vien de vérifier) dans la fenêtre Google où tu places les mots clés. Étonnamment, ça ne marche pas avec yahoo(qui l'a diffusé). Autre solution: mettre dans la fenêtre recherche partie ou tout le texte: "A Bagdad, réalisateurs, scénaristes et acteurs tentent de faire revivre un cinéma autrefois faste, aujourd'hui moribond"

Pier Paolo a dit…

Merci beaucoup, Giulio, pour cet article tout à la fois passionnant, terrible, beau et plein d'espoir sur le cinéma irakien. Un cinéma à découvrir. L'article que tu nous as proposé constitue une bonne introduction à ce cinéma.