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dimanche 29 novembre 2009

Ibn Hânî : "Le glouton"



Le poème ci-dessous fait partie du genre traditionnel du
hija', la poésie satirique, qui trouva l'un de ses plus brillants maîtres en la personne de Jahiz. Ibn Hânî narre sur un ton comique l'appétit gargantuesque d'un homme rencontré par hasard lors d'une halte dans une auberge. La description de sa voracité est l'occasion pour lui d'exprimer sa verve et d'établir des comparaisons hyperboliques dans le but de provoquer le rire.
A la fin du poème, Ibn Hânî mentionne la ville de Raqqada, c'est la seule et unique fois où le poète cite un toponyme du Maghreb dans tout son Diwan qui compte pourtant quelques 4 400 vers. Ce manque de considération et d'intérêt pour le Maghreb de la part des auteurs maghrébins du IXe et Xe siècles traduit non seulement leur complexe d'infériorité vis à vis de l'Orient (Mashreq) mais aussi leur immense admiration pour ce Mashreq considéré comme LA référence et le modèle absolu dans le domaine des arts et des lettres.
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"Regardez-le ! comme il ramène [ses entrailles] au repos par le mouvement continu de [ses mâchoires] ! Ne dirait-on pas de [grands] reptiles qu'il a chargés de saisir [la nourriture] au vol ?

Quand il approche le morceau de sa bouche [grande ouverte], on se demande : Dieu ! Est-ce là un gosier ou un champ de bataille ?

Son estomac, où il enfourne les aliments, semble une géhenne dans laquelle sont précipités diables et démons

Que Dieu soit glorifié qui l'a doté de mandibules aussi puissantes que les meules d'un moulin !

On eût dit que dans sa bouche un arsenal d'armes a été entreposé, pareil à ceux que réservaient aux Prophètes les Pharaons

Mais que dis-je ? en regard de ses dents, que peuvent les lances et les épées, les poignards et les coutelas ?

Dans ses mains, l'agneau rôti semble destiné à disparaître en un clin d'oeil, tel Jonas avalé par la baleine

Les chevreaux avec bras et gigots, il les ramasse en un tournemain, comme si les loups les avaient avalés

De même les canards ; seuls ou par couples, il les happe, comme font les aigles de leurs proies

Quand aux oies, il en fait une boule, ramassant en un même mouvement et la tête et les pattes ; et le gosier de gargouiller et la gorge de faire sa musique

Borborygmes semblables aux lamentations d'orphelins [affamés] ou aux sanglots des pleureuses aux voiles noirs.

On dirait que, sous chacune des meules de sa bouche, pilons et mortiers broient les os et lui en fournissent la moelle

Et que chacune de ses humeurs est un feu dévorant, entretenu par les foyers de ses entrailles

Peut-être même les replis de son estomac le fournissent-ils en girofle, et cumin, condiments nécessaires ?

Levons-nous, compagnons ! nos coeurs sont effrayés [par ce spectacle] et nos montures nous appellent au départ

Mais suivez mon conseil, et munissez-vous d'une de ses mandibules ; sans cela, vous risquez d'être dans sa bouche pulvérisés en farine

Cet homme, toute l'eau de l'Euphrate ne peut le désaltérer ; tous [les animaux de] l'arche de Noé ne peuvent suffire à calmer sa faim

[La ville de] Raqqâda tout entière tiendrait dans ses mâchoires, et nous [les habitants] ne serions [pour son repas] que persil et estragon !"

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