La rue al-Mutannabi est située dans le centre historique de Bagdad, à la lisière de la vieille ville, non loin du quartier juif. C'est la rue du marché aux livres, des libraires, des bouquinistes, et des éditeurs en tous genres. La rue est également le lieu de rendez-vous des intellectuels, des étudiants et des habitués qui aiment à se réunir dans ses cafés, notamment dans le fameux café Shabandar, pour débattre de culture et de politique, boire un verre et fumer des pipes à eau tout en jouant au backgammon. La rue est constamment encombrée par des étals de livres au milieu desquels circule une foule compacte de lecteurs et de flaneurs, la tête baissée, à la recherche d'un livre précis ou dans l'espoir d'une rencontre littéraire heureuse. La rue al-Mutanabbi est le coeur de la vie culturelle et intellectuelle irakienne.
Le 5 mars 2007, à l'approche de la fête du Printemps, le Nawruz, une voiture kamikaze s'est faite exploser dans cette rue faisant une trentaine de victimes et des dizaines de blessés. La rue fut entièrement éventrée.
Parmi les nombreux attentats qui frappèrent Bagdad, dont certains eurent un nombre de victimes bien plus élevé, aucun d'entre eux n'eut la même charge symbolique que celui de la rue al-Mutannabi. En visant cette rue, il appararaissait évident que c'est non seulement toute la vie culturelle irakienne que les auteurs de l'attentat voulaient éradiquer, mais également la liberté d'expression, le pluralisme et l'influence occidentale. Saad Eskander, le directeur de la Bibliothèque nationale irakienne, fut témoin du drame, il raconte : "On se souviendra toujours de ce jour comme le jour où les livres ont été assassinés par les forces des ténèbres, de la haine et du fanatisme...Des dizaines de milliers de pages volaient haut dans le ciel et on aurait dit qu'il pleuvait des livres, des larmes et du sang...On voyait des livres brûler dans le ciel..."
Suite à cette tragédie, une organisation dénommée "The Mutanabbi Street Coalition" fut fondée par l'éditeur et poète de San Francisco, Beau Beausoleil, dans le but de promouvoir la publication de livres d'auteurs irakiens et de recueillir des fonds nécessaires pour l'aide humanitaire en Irak.
Après plus d'un an de couvre-feu et de de travaux de réhabilitation, la rue fut à nouveau ouverte en septembre 2008, d'une manière solenelle, avec la coupe du ruban d'inauguration par le premier-ministre Nuri Kamal al-Maliki.
En s'attaquant aux intellectuels et aux livres, les auteurs de l'attentat oublient un élément fondamental du message islamique qui est la recherche de la connaissance et le respect du savoir. Il est plus qu'urgent de se remémorer et de remettre à l'ordre du jour l'importance que le Coran attache au savoir et les nombreux hadiths du Prophète qui soulignent le statut éminent des savants. Le premier mot de la Révélation islamique est l'ordre divin : "Lis !". Rappelons-nous aussi le fameux hadith du Prophète : "L'encre du savant est plus précieuse que le sang du martyr". Cette parole devrait être enseigné dans toutes les écoles coraniques à travers le monde islamique. Si l'encre du savant, à elle seule, est plus précieuse que le sang du martyr, combien plus précieux doit être le sang du savant par rapport à celui du martyr ; ces savants pourtant que l'on assassine et qui sont les cibles de prédilection des extrêmistes. Autre chose aussi qu'il convient de garder à l'esprit, c'est la place éminente que le livre doit occuper dans le coeur de tous les musulmans. Alors que dans le Judaïsme, le Verbe s'est fait Loi, dans le Christianisme, Il s'est fait chair, en Islam le Verbe de Dieu s'est fait livre. L'Islam est la religion par excellence du livre. Le livre est l'objet que Dieu a élu pour servir de support à la manifestation de Sa Parole et pour La faire demeurer parmi les hommes. Le livre devrait être considéré comme un objet sacré et être éminemment respecté.
En attaquant un livre, on porte atteinte à la part spirituelle et intellectuelle de l'homme, cette part qui constitue son Essence même et dont la production littéraire n'est que la manifestation visible. En ce sens, l'attentat contre la rue al-Mutanabbi est une attaque dirigée contre tous les hommes à travers le monde, ce que le poète Beau Beausoleil a admirablement exprimé : "Là où un homme s'assoit pour lire ou pour écrire, là commence la rue al-Mutanabbi."
La rue al-Mutanabbi à Bagdad
5 commentaires:
Auray est à Marrakech cher Pier Paolo, il ne reviendra que le 13 décembre à Paris, et même de là où il est en villégiature sous 23° C, il trouve le moment de lire les aventures d'Ibn Hânî et de son contemporain al-Mutanabbi...
A la semaine prochaine et très bonne continuation !
Auray
Eh bien, tu en as de la chance, Auray. N'oublie surtout pas de visiter la villa Majorelle (j'adore ce peintre) à Marrakech. Bon voyage, veinard !
Quel splendide billet, Pier! Faudrait quand même qu'il aille aussi sur le net en Arabe...
Rappelons à cette occasion qu'en Europe on n'a pas attendu Al Qaïda ou autres fanatiques contemporains pour organiser des autodafés de bouquins et de philosophes.
Oui, il faut absolument voir le film de Youssef Chahine, "Le Destin", absolument magnifique qui évoque bien à travers la figure d'Averroès cette lutte de la science et du savoir confrontés à l'intolérance.
Fier comme Artaban de pouvoir dire: "Je l'ai vu". Splendide! Je joins ma voix à la tienne pour le recommander à tous nos amis.
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