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mardi 10 novembre 2009

Nasir Khuraw et l'âne d'or

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L'Âne d'or. Voilà un livre exceptionnel, mêlant admirablement et avec un bonheur rare, récit initiatique, mysticisme, aventure, satire sociale, humour, paillardise et mythologie gréco-romaine. Tout y est pour ainsi dire.
L'ouvrage a été écrit au IIe siècle par Apulée, un écrivain d'origine berbère, né vers 123 à Madaure, en Numidie, et mort vers 170. L'Âne d'or raconte l'histoire de Lucius (du latin Lux, "lumière"), un jeune homme passionné de magie, jouisseur et frivole, qui se rend un beau jour chez une magicienne ayant le pouvoir de transformer les hommes en animaux. Lucius voudrait devenir un oiseau mais au moment de prendre le breuvage magique une erreur de fiole fait que Lucius se retrouve métamorphosé en âne. Le seul moyen pour lui de reprendre sa forme humaine est de manger des roses. Lucius se met aussitôt en quête de la fleur mais à peine a t-il mis le museau dehors qu'il se retrouve chargé comme une bête de somme qu'il est devenu et embarqué dans une série de mésaventures pleine de rebondissements, de dangers et de situations tragico-comiques. Ces péripéties sont l'occasion pour Apulée de nous décrire les moeurs humaines en ce IIe siècle de l'ère chrétienne, de dénoncer la misère et les injustices frappant les plus pauvres et les plus faibles, de condamner l'exploitation des miséreux par des nantis sans scrupules et des parvenus. Le livre, bien qu'ayant été écrit au IIe siècle, est d'une modernité incroyable. On y retrouve tous les maux de la société actuelle et en le lisant on se dit que finalement le monde a toujours été tel qu'il est de nos jours et que l'homme n'a hélas absolument évolué ou changé en rien. Finalement, Lucius, épuisé et démoralisé par les misères et les mauvais traitements que les hommes lui ont infligés et au désespoir de ne pouvoir jamais un jour arriver à mettre la patte sur une rose, se retire en un lieu isolé et s'endort sur une plage déserte. Il se réveille un peu plus tard et implore en une prière poignante, le visage baigné de larmes, la déesse souveraine afin qu'elle le délivre de sa condition d'animal. Il se rendort à nouveau. Au beau milieu de la nuit, Isis sort des eaux, nimbée d'une lumière d'une blancheur éclatante, une couronne de roses sur la tête. Elle annonce à Lucius qu'elle a entendu ses prières et se trouve disposée à les exaucer. Mais en retour, celui-ci devra se réformer moralement et s'attacher à elle pour le restant de ses jours. Le lendemain, elle offre à Lucius par l'intermédiaire d'un de ses prêtres sa couronne de roses et met ainsi un terme à son calvaire. Lucius, ayant enfin retrouvé sa forme humaine, décide de devenir un prêtre consacré au culte d'Isis et à son adoration.
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Texte de Nasir Khusraw, extrait de "Anthologie persane", Henri Massé, Payot :

Le corps et l'esprit
"O mon corps, abject et sinistre, nul compagnon dans ce bas-monde plus que toi n'est mauvais pour moi. Et je te croyais mon ami ! je croyais qu'il n'était pour moi d'autre ami sur terre et sur mer. Or tu m'as témoigné ta haine et tu m'as tendu des embûches alors qu'il n'y avait ni trace ni annonce de tes filets. Alors que tu m'avais trouvé insouciant et confiant, tu as fait de moi ton esclave par tes perfides artifices. N'étaient la miséricorde et la grâce du Seigneur, sur moi serait tombée ta ruse, me houspillant de toutes parts. Maintenant qu'il est reconnu que tu es mon pire ennemi, même le sucre offert par toi, je ne pourrai le digérer. Manger et dormir, c'est ton oeuvre. Ô corps dépourvu de raison ! Pour moi, la sagesse vaut mieux que le manger et le dormir. L'homme de sens n'ignore pas qu'un âne dort et mange aussi ; moi donc, homme sensé, j'ai honte de me comporter comme un âne. Je ne resterai pas toujours avec toi, mon corps, dans ce monde, parce que Dieu m'appellera, vers une autre demeure, un jour. Ici-bas, talent et vertus, voilà le vrai travail de l'homme, non le manger et le dormir ; donc à toi ceux-ci ; mais à moi la sagesse et la connaissance. Des créatures innombrables avant moi quittèrent ce monde ; bien que je m'y attarde encore, comptez-moi comme déjà mort. Croyez qu'un jour, comme un oiseau, je m'enfuirai prenant mon vol vers le ciel, sublime coupole, sur les ailes de la prière."
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Le texte de Nasir Khusraw peut sembler une charge violente contre le corps. Il est très rare de voir cela dans les textes ismaéliens. On la trouve essentiellement dans les textes de ceux que l'on a qualifié de "chiites extrémistes" (ghulât), à savoir ce groupe mené par Abu-l-Khattab qui gravitait autour de l'Imam Djafar al-Sadiq (mort en 765) et qui fut renié par ce dernier pour leurs propos extêmistes. Après avoir été désavoué par l'Imam et en délicatesse avec les autorités abbassides, Abu-l-Khattab prit refuge avec ses partisans dans le Khorassan. Pour les ghulât, le corps et le monde étaient foncièrement mauvais, aussi la sexualité était durement condamnée par eux. Les islamisants voient chez les ghulât l'influence des théories manichéennes et d'autres sectes gnostiques. Faut-il voir dans le texte de Nasir Khusraw des réminiscences des idées prônées par les ghulât ou tout simplement un style littéraire utilisant l'hyperbole pour accentuer l'opposition corps/âme et la description des séductions charnelles. La deuxième hypothèse serait à privilégier car les écrits de Nasir, d'une manière générale, ne stigmatisent pas le corps, la femme ou la sexualité.

6 commentaires:

giulio a dit…

l' âne d'Apulée, c'est vrai, une merveille! Je l'ai lu il y a une quarantaine d'années et devrais le reprendre... mais comment tout lire? Tempus irreparabile fugit.
Quant au texte de Nasir Khusraw, il me ramène de haut: c'est l'horreur. Je pense pas que tu puisses ramener cela à Mani, tout au plus au Mazdéisme dont la vox populi a erronément qualifié le dualisme de manichéen. En fait cela me rappelle plutôt les Bogomiles puis Cathares. Ceux-ci ne "descendraient"-ils pas des Abu-l-Khattabites?

Pier Paolo a dit…

Bonjour Giulio,
Oui, l'Ane d'or est une merveille comme vous le dites.
Quant au texte de Nasir, il ne faut pas oublier qu'il est tiré de son recueil de poésie (son fameux Diwan) et qu'en ce sens il faudrait plus y voir un effet de style qu'une position arrêtée. Car comme je le précise en fin de billet, Nasir ne manifeste pas d'aversion dans ses écrits envers le corps, la femme, la sexualité, voire le monde matériel dans son ensemble. Y compris dans son Diwan. Les thèmes de prédilection de Nasir sont essentiellement la connaissance et la Raison (le 'aql : l'intellect). Mais on peut également ajouter qu'une large part est également accordée dans le Diwan à la description de la nature et sa nostalgie pour sa patrie (le Khorassan).
Signalons également comme le disait le grand orientaliste E.G.Browne que Nasir est l'un des auteurs les plus difficiles, pour ne pas dire le plus difficile, à traduire.
Quant à l'influence des sectes gnostiques et du manichéisme et/ou du mazdéisme, l'ampleur de leur influence sur les ghulât d'Abu-l-Khattab reste encore à évaluer. De plus, Abu-l-Khattab a eu une notoriété qui a mon sens n'a pas dépassé les limites de l'Islam. On ne peut s'empêcher effectivement de penser aux bogomiles et aux cathares lorsque l'on évoque le gnosticisme et son influence semble évidente sur eux.

Voyageur a dit…

Sultan Valâd, Junayd et même Hallaj avaient aussi stigmatisé le corps simplement parce qu'il était à leurs yeux un réceptacle difficilement maîtrisable, pourtant leurs écrits sont d'une pûreté sans pareille.

Pier Paolo a dit…

Bonjour Voyageur,
La relation âme/corps ou spirituel/matériel est récurrente chez tous les mystiques. Les oeuvres des auteurs que vous citez sont effectivement magnifiques. Ces auteur ont de surcroît trouvé des porte-paroles exceptionnels en Louis Massignon et Eva de Vitray-Meyerovitch. Bien à vous.

Psyché a dit…

Ane d'Apulée et histoire de Psyché = même mythe : âme et son union avec le corps c'est à dire des épreuves que notre Psyché endure puis le bonheur qui ne dure pas plus que ne dure l'illusion.
Carpe diem tant que la vie nous est donnée et ensuite il sera trop tard. Vive l'âne d'Apulée vive Psyché.

Pier Paolo a dit…

Et vive Isis et vivent les roses.