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dimanche 15 novembre 2009

Ibn Hânî : le Mutannabî d'Occident

L'Andalousie, la terre natale d'Ibn Hânî

Mohammed YALAOUI, Un poète chiite d'Occident au IVe/Xe siècle : Ibn Hânî al-Andalusî, Faculté des Lettres et Sciences humaines, série : Philosophie-littérature, vol. IX, 474 pp., Publications de l'Université de Tunis, 1976.

"Cette thèse d'Etat, soutenue en Sorbonne en 1973, n'est pas seulement sérieuse et documentée mais également agréable à lire. La phrase qui la termine ("Ibn Hâni a été en quelque sorte le fourrier du gongorisme en Occident musulman"), trop expéditive, reflète assez mal l'allure générale d'une étude toute de mesure, de prudence et qu'anime l'indéniable sympathie que M. Yalaoui éprouve pour le poète qu'il étudie. Celui-ci n'est pas un inconnu. Parce qu'il jouait à Kairouan auprès d'al-Mu'izz [2] le rôle qui avait été celui d'al-Mutanabbî auprès de Sayf al-Dawla à Alep ou auprès de Kâfûr à Fustât. Ibn Hâni fut souvent appelé "le Mutannabî d'Occident". En outre le fait qu'on ait trouvé une trentaine de manuscrits de son oeuvre prouve qu'il était apprécié ; d'ailleurs des notices, le plus souvent élogieuses, lui sont consacrées dans les principales chroniques littéraires dues à des auteurs tant orientaux qu'occidentaux. Dès le début M. Yalaoui indique nettement que son propos n'est pas d'évaluer les mérites littéraires du poète et, par exemple, de renouer avec les efforts apologétiques d'un Ibn Hazm ou d'un Saqundî qui voulaient affirmer l'importance culturelle du Maghreb face à un Machreq trop sûr de lui. En réalité la littérature nous retiendra assez peu. Il est significatif que sur 400 pages de texte, une soixantaine seulement soient consacrées à "l'art du poète" (dernière partie). Après une présentation claire des sources, de l'homme et de l'oeuvre, l'essentiel du livre porte sur le parti qu'on peut tirer des poèmes composés par un chiite convaincu pour mieux comprendre une société et un époque ("Le dîwân comme source historique", deuxième partie).

On ne peut s'empêcher d'admirer le courage et la ténacité de l'auteur. En effet l'obscurité règne sur des pans entiers de la vie d'Ibn Hânî. Quand et où est-il né exactement ? Pourquoi a-t-il quitté Séville pour l'Ifriqiya ? Pourquoi se rend-il d'abord chez les Banî Hamdûn de M'sila avant d'aller offrir ses services à al-Mu'izz ? Quelles sont les causes et la date exacte de sa mort ? Sur tous ces points - et bien d'autres - en l'absence de renseignements sûrs, l'auteur doit faire parler les textes ; il les sollicite souvent avec beaucoup d'insistance et finalement risque des hypothèses qu'il n'omet jamais de présenter comme telles : Ibn Hânî était sans doute acquis aux thèses chiites assez tôt, dès la période espagnole, mais ce sont ses frasques qui l'ont finalement contraint à quitter al-Andalus, et il est également fort possible que ses moeurs particulières aient été pour quelque chose dans son assassinat ; son chiisme était sincère ; il a vraisemblablement trouvé la mort vers la quarantaine en Libye quand il regagnait la Tunisie après avoir laissé al-Mu'izz poursuivre sa route vers l'Egypte. Les difficultés ne sont pas moins grandes quand M. Yalaoui interroge le dîwân du poète. Il le connaît bien pourtant et le pratique de longue date - il en a même découvert une partie, vingt-sept pièces qu'il a publiées dans la revue des Annales de l'Université de Tunis (Hawliyyât, t. VI, 1969). Mais ce recueil a été soumis à diverses manipulations au cours des âges. D'une part les chiites l'ont sûrement altéré pour qu'il correspondit mieux à l'image édifiante qu'un poète chiite doit laisser à la postérité. D'autre part les sunnites revenant au pouvoir après une domination fatimide - qui n'avait d'ailleurs jamais obtenu la faveur populaire en Ifriqiya - se sont employés à écarter les poèmes trop nettement marqués dans le sens ismaélien (on nous fait remarquer avec juste raison que l'anthologue Husrî dans Zahr al-adab a ainsi malmené la production de notre poète). En outre Ibn Hânî présente toutes les caractéristiques d'un poète néoclassique : il manie l'hyperbole avec excès (sur 70 pièces, il n'y a que 4 qui ne soient pas réservées à l'éloge) ; il a une prédilection marquée pour les termes rares ; il imite les modèles orientaux et se montre aussi peu occidental que possible ; le seul toponyme maghrébin figurant dans le dîwân est le nom de la ville de Raqqâda. Dans ces conditions M. Yalaoui doit dépenser des trésors d'ingéniosité pour découvrir le détail précis, le trait éclairant, derrière une phraséologie ou conventionnelle ou hermétique à force de recherche formelle.Ainsi appréciera-t-on davantage les résultats obtenus à partir d'un corpus qui - l'auteur le regrette amèrement - est beaucoup moins substantiel que la vie de l'Ustâd Jawdhar, traduite et étudiée par Marius Canard, ou les célèbres Majâlis du Cadi Nu'man. Si la vie à la cour de l'ascétique al-Mu'izz n'inspire guère Ibn Hânî, il n'en va pas de même pour l'entourage des Bani Hamdun du Zab, ces princes d'origine andalouse comme lui avec lesquels le poète fut très lié. Quelques vers plus ou moins allusifs, permettent parfois de se représenter telle activité sociale saisie autour d'un chef militaire, d'un percepteur ou d'un dignitaire encensé par le poète. Il arrive que certains tableaux retiennent l'attention par leur réalisme (les batailles navales, le feu grégeois en particulier. Mais c'est surtout dans le domaine des idées que cette poésie trop souvent guindée s'anime et rend un son authentique. Sincèrement attaché à l'idéologie qu'il défend et à la dynastie qu'il sert, le poète s'enflamme lorsqu'il en parle ce qui lui arrive évidemment souvent. Contre les adversaires (Omeyyades, Abbassides, Byzantins) il manie l'accusation violente, l'ironie féroce. Pour soutenir les descendants de Ali ibn Abî Tâlib, il s'exprime avec une outrance qui n'est rien moins qu'une figure de style mais correspon à une conviction profonde - en rapprochant ces allégations du credo chiite présenté par le Cadi Nu'man, M. Yalaoui le montre clairement. A notre avis les chapitres consacrés au "Thèmes politiques et polémiques" et aux "Thèmes religieux et dynastiques", sont les mieux venus. On signalera enfin la bonne présentation matérielle de ce travail. Deux appendices - bizarrement placés entre le chapitre II et le chapitre III - groupent tous les renseignements que l'auteur a pu obtenir à propos des manuscrits et des dates probables où les principales pièces ont été composées ainsi que leurs dédicataires. A la fin du volume quatre l'index et la bibliographie en facilitent la consultation."

Ch. VIAL

Source : www.persee.fr
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[2] Al-Mu'izz li-Din Allah fut le 4e Calife fatimide. Il régna de 953 à 975 et son califat fut marqué par la conquête de l'Egypte en 969 et la fondation d'al-Qahira (Le Caire)

2 commentaires:

giulio a dit…

Bon jour Pier Paolo! Tu écris: "...Les Fables de La Fontaine s'inspirent des fables indiennes du Panchatantra. Celles-ci ont été introduites dans le monde arabe par Ibn al-Muqaffa au VIIIe siècle...".

Mais le Panchantantra ne remontrerait il pas au VIe siècle p.C. au plus, lorsque j'ai lu que déjà Ésope se serait inspiré de contes hindous (donc plus d'un millénaire + tôt)? Où fais-je la faute?

Pier Paolo a dit…

Bonsoir Giulio,
On estime que les Panchatantra ont été rédigés dans la forme qu'on leur connaît actuellement entre le IIe siècle avant J.C et le IIe siècle après J.C. Elles ont été traduites en persan au VI siècle puis en arabe au VIIIe siècle. Les contes du Panchatantra étaient à l'origine transmises oralement et il possible qu'Esope les ait connus par des contacts que la Grèce avait avec l'Orient, notamment la Perse. Il serait intéressant de connaître l'importance de l'apport de la pensée orientale et son influence sur la pensée grecque. De plus en plus de spécialistes s'accordent à dire que les péripatéticiens étaient influencés par les croyances orientales.