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dimanche 6 septembre 2009

La conversion de Hasan Sabbah à l'Ismaélisme

Tour funéraire du Seldjoukide Tughril Beg, à Rayy. Tughril Beg renversa la dynastie des Bouyides en s'emparant de Bagdad en 1055, l'année supposée de la naissance de Hasan Sabbah. Le mausolée a été construit en 1040. Il est constitué de 22 arêtes qui donnent à l'édifice une forme en zig-zag. Trois rangées de muqarnas dans la partie supérieure du bâtiment assurent la transition entre la forme dentelée de la structure et le bandeau cylindrique du toit. Le mausolée est pourvu de deux entrées : l'une au nord et l'autre au sud. Les arêtes donnent également à la structure une forme mouvante variant tout au long de la journée en fonction de la lumière du soleil. A l'origine, la tour était surmontée d'un toit conique qui s'est effondré lors d'un tremblement de terre.



Hasan Sabbah est le héros ismaélien par excellence. Il ouvrit non seulement une nouvelle page de l’histoire ismaélienne, mais surtout, il mit en place par son action militante, un Etat qui put tout à la fois protéger la communauté et devenir un centre intellectuel brillant. La fameuse bibliothèque d'Alamut attirera des savants aussi prestigieux que Nasir al-Din Tûsî.
En dépit des travaux effectués par des islamisants aussi éminents que Louis Massignon, Henry Corbin, Bernard Lewis, ou Farhad Daftary [1], qui ont fait toute la lumière sur Alamut et la figure de Hasan Sabbah, la légende relative à la "secte des Assassins" et au "Vieux de la montagne" a toujours la vie dure. Cette légende est régulièrement reprise par des journaux en mal de sensations, qui pour se donner un semblant de sérieux, se croient obligés de faire référence au "Vieux de la montagne" et aux récits légendaires liés au haschisch et au paradis terrestre, pour expliquer les problématiques actuelles liées au terrorisme.

Hasan Sabbah semble avoir écrit plusieurs ouvrages relatifs à la philosophie ismaélienne et aurait même rédigé une autobiographie. Des fragments de ses écrits ont été retrouvés dans les ouvrages d’historiens postérieurs, notamment l’extrait ci-dessous où Hasan Sabbah relate son parcours spirituel qui le conduisit à embrasser l’Ismaélisme.

"Dans mon enfance, dès l'âge de sept ans, je me pris de passion pour toutes les formes du savoir ; je voulais devenir docteur de la Loi ; jusqu'à l'âge de dix-sept ans, je cherchai à acquérir des connaissances, tout en demeurant fidèle à la foi de mes ancêtres duodécimains.

"Un jour, à Rayy, je rencontrai un compagnon (rafiq, terme souvent utilisé entre eux par les ismaéliens), appelé Amira Zarrâb, qui, de temps en temps, exposait la doctrine des califes d'Egypte...comme d'autres avant lui l'avaient fait...

"Je n'ai jamais mis en doute ma foi dans l'Islam ; j'ai toujours été convaincu qu'il existe un Dieu vivant, éternel, omnipotent et omniprésent, un Prophète et un imam, des choses permises et des choses défendues, un paradis et un enfer, des commandements et des interdictions. Pour moi, la religion et la doctrine consistaient en ce que les gens en général et le chiisme en particulier professaient, et il ne m'était jamais venu à l'esprit qu'on pût chercher la vérité en dehors de l'Islam. Je pensais que la doctrine des ismaéliens était de la philosophie [terme d'insulte pour les gens pieux] et le maître de l'Egypte un philosophe.

"Amîra Zarrab était un excellent homme. La première fois qu'il conversa avec moi, il me dit : "Les ismaéliens disent ceci et cela". Je répliquai : "O ami, ne parle pas comme eux car ce sont des proscrits et ce qu'ils disent va contre la religion." Il y eut des controverses et des discussions entre nous : il me désapprouvait et détruisit ma foi. Je ne le lui avouai pas, mais ses mots eurent une grande influence sur mon âme...Amîra me disait : "Quand, le soir, dans ton lit, tu réfléchiras, tu sauras que ce que je t'ai dit t'a convaincu"."

"Puis, je fus séparé de lui ; je continuai à lire des livres afin d'approfondir ma connaissance sur l'Ismaélisme. Je fus bouleversé par ces lectures, et me dis : "Cet Imamat repose sur le Nass [désignation explicite par l'Imam de son successeur] et sur l'enseignement, et j'ignore ces choses-là". Je tombai alors gravement malade et fut atteint d'une maladie particulièrement dangereuse. J'eus l'impression que ma chair et mon sang changeaient de nature. Je me disais : "Je vais mourir. Cette voie (l'ismaélisme) est sûrement la véritable foi. Mais par peur, je ne l'ai pas acceptée. Mon heure est maintenant arrivée et je mourrai sans avoir atteint la vérité."

"Je survécus. Je trouvai un autre ismaélien, Abu Najm Sarrâj, de son nom. Je continuai à me renseigner sur l'ismaélisme. Il m'enseigna et me fit comprendre, par arguments et exposés, les points les plus abstrus et fondamentaux de l'ismaélisme. Je décidai de franchir le pas et recherchai un da'i qui fut en mesure de recevoir mon serment d'allégeance en lieu et place de l'Imam. Ce fut à un certain Mu'min, qui avait été mandaté par Abd al-Malik Attash [le chef des da'is pour l'Iran], que je prêtai mon serment d'allégeance à l'Imam. Puis au mois de Ramadan de l'année 464, Abd al-Malik al-Attash vint en personne à Rayy. Il me reçut chez lui et après que nous ayons longuement conversé, il me confia un district où je reçus pour mission de propager la foi. Puis, il ajouta : "Tu dois te rendre en Egypte, à la cour de notre Maître [l'Imam et Calife fatimide al-Mustansir]."

Sources : La traduction du récit ci-dessus provient de deux livres : "Les Assassins", de Bernard Lewis, Berger-Levrault ; pour les deux derniers paragraphes, de "The secret order of Assassins", de M.G.S. Hodgson, University of Pennsylvania Press.

Hasan Sabbah est né à Qumm, vers 1055. Sa famille était chiite duodécimaine. Elle venait de Kufa et était installée à Qumm lorsque Hasan naquît. Qumm et Kufa étaient deux bastions importants du chiisme. Le père de Hasan était d'origine yéménite.

L'année 1055 correspond à une date charnière de l'histoire islamique. Durant cette année, la dynastie chiite des Bouyides, qui régnait à Bagdad depuis 950 et tenait le Califat abbasside sous sa coupe, est renversée par la dynastie turque des Seldjoukides. La défaite des Bouyides marque la fin de la période humaniste de l'Islam[2]. Avec les Seldjoukides, c'est une nouvelle ère qui commence, une ère à caractère plus guerrier et marqué par la domination du monde musulman par des dynasties turques. Les souverains turcs, par besoin de légitimité pour leur pouvoir envers leurs sujets arabes et persans majoritairement sunnites, vont se poser en défenseurs du sunnisme et de l'Islam en général. Ils réussiront à repousser et à vaincre tour à tour les principales puissances qui menaçaient l'Islam : Byzantins (Mantzikert), mongols (Ayn Djalout) et Croisés (Saint-Jean d'Acre). Les nouveaux maîtres du pouvoir demanderont à chaque fois au Calife de conférer une légitimité à leur pouvoir en leur décernant le tire de Sultan. Le Califat sera réduit à une institution dont la fonction principale consistera essentiellement à légitimer l’autorité des différents maîtres du pouvoir à la tête du régime. C'est dans le but d'asseoir son pouvoir en obtenant le titre de Sultan que Baybars, après le meurtre du dernier Calife abbasside par les mongols en 1258, recueillera auprès de lui, en Egypte, un rescapé de la famille abbasside et l'intronisera comme Calife.

Signalons également, qu’en cette deuxième moitié du XIe siècle, l'Ismaélisme est installé au pouvoir avec les Fatimides en Egypte. La communauté est dirigée par l'Imam et Calife al-Mustansir bi-Llah (m. en 1094). Mais la dynastie est sur son déclin. Des périodes de sécheresses particulièrement longues, une guerre acharnée contre les Byzantins, ainsi que l'anarchie régnant au sein d’une armée déchirée en multiples factions, ont mis à genoux l’Etat fatimide. Al-Mustansir appelle à la rescousse le gouverneur de Syrie, le général arménien Badr al-Djamali pour rétablir l’ordre et contenir les Byzantins. Badr al-Djamali réussit par des mesures radicales à assurer la stabilité en Egypte et parvient à repousser les Byzantins. Mais en même temps, il met sous sa coupe le Calife et devient le véritable maître de l’Egypte. Il réussit même, après la mort d’al-Mustansir, en 1094, à imposer son beau-fils Musta'li en tant que Calife au détriment de l'héritier désigné Nizar. Cette initiative entraînera un schisme dans la communauté ismaélienne entre les partisans de Musta’li et ceux de Nizar. Les ismaéliens de Perse, avec à leur tête Hasan Sabbah, apporteront leur soutien à Nizar. On les désignera en les appelant "Ismaélis Nizaris", ou "Nizaris" tout simplement.

Dernier point, nous voyons également dans ce texte, la Da'wa (Mission) ismaélienne à l'œuvre à travers le travail des da'ïs (les missionnaires). Le da’ï opérait dans la clandestinité, d’une manière incognito. Sa tâche ne devait pas être aisée. Il risquait sa vie à chaque instant. L'Ismaélisme a été l'une des communautés les plus persécutées et calomniées au Moyen-Age, et fut victime régulièrement de massacres. Précisons que le prosélytisme ismaélien n’a jamais été un prosélytisme de masse, mais un prosélytisme d’approche individuelle avec une pédagogie adaptée au niveau social et intellectuel de l’interlocuteur. Bien souvent, le missionnaire se mêlait à des groupes en discussions et, par allusions et contradictions, distillait des propos susceptibles d’entraîner un questionnement et une réflexion plus profonde sur la foi. Ensuite, en fonction de l’écho que produisait son message chez telle ou telle personne, il choisissait ou pas d’initier le prétendant [3].

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[1] Farhad Daftary, Légendes des Assassins : mythes sur les ismaéliens, Vrin
[2] Mohammed Arkoun, L’humanisme arabe au Xe siècle, Vrin
[3] Voir Henry Corbin, Un roman initiatique ismaélien du Xe siècle, in L'homme et son Ange, Fayard. On y voit un da'ï ismaélien arrivant dans une bourgade, puis initiant un jeune disciple, au grand dam de ses parents déroutés par la démarche de leur rejeton. Le da'ï au fur et à mesure des rencontres met le disciple devant ses contradictions, puis il lui expose les éléments de la foi ismaélienne. Au dernier stade de l'initiation, le jeune homme rencontre l'Imam et reçoit de celui-ci bénédictions et directives spirituelles. Finalement, les parents et les membres éminents de la bourgade, convaincus également du bien fondé de la prédication, adhèrent à la communauté.

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