Ecoutons Nasir Khusraw nous conter cet épisode de sa vie :
Voici le récit fait par Abou Mouyn ed Din Nassir, fils de Khosrau, originaire de Qobadian et habitant la ville de Merw, que Dieu lui pardonne ses péchés !
J'occupais la charge de secrétaire ; je faisais partie des fonctionnaires de l'Etat et j'étais, à ce titre, employé à la perception des finances et des revenus du Sultan. Je remplissais les devoirs que m'imposait ma place dans l'administration et j'avais acquis, parmi mes collègues, une certaine notoriété. [...]
Je me rendis à Djouzdjanan où je séjournai pendant un mois environ, me livrant continuellement aux plaisirs du vin. (J'en fais l'aveu, car) le prophète de Dieu a dit : "Dites la vérité, quand bien même elle vous serait préjudiciable."
Une nuit, je vis en songe un personnage qui m'adressa la parole en ces termes : "Jusques à quand boiras-tu ce vin qui prive l'homme de la raison ? Il vaudrait mieux que tu fisses un retour sur toi-même." "Les sages, lui répondis-je, n'ont rien pu trouver de meilleur que le vin pour dissiper les soucis de ce monde." La perte de la raison et de la possession de soi-même, répliqua-t-il, ne donne pas le calme à l'esprit ; le sage ne peut donc recommander à personne de se laisser guider par la démence. Il faut, au contraire, rechercher ce qui augmente l'esprit et l'intelligence." "Comment, repris-je, pourrai-je me le procurer ?" "Qui cherche trouve", me répondit-il, et, sans ajouter un mot, il m'indiqua d'un geste la direction de la qibla.
Lorsque je me réveillai, ce songe, présent à ma mémoire dans tous ses détails, fit sur moi la plus profonde impression.
"Je viens, me dis-je, de me réveiller du sommeil d'hier ; il faut que je secoue aussi celui dans lequel je suis plongé depuis quarante ans." Je résolus donc de réformer ma conduite et de changer ma manière de vivre. Le jeudi 6 du mois de Djoumazy oul akhir de l'an 437 (20 décembre 1045), je me rendis à la grande mosquée, après m'être purifié par une ablution générale. J'y fis mes prières et j'implorai l'assistance de Dieu, afin qu'il me donnât la force de m'acquitter des obligations imposées par ses lois et de renoncer, comme il l'a lui-même ordonné, aux choses illicites et défendues."
Nasir Khusraw naquît en 1003 à Qubâdiyan, près de Marw. Nous ignorons tout de l'enfance et de la jeunesse de Nasir. D'après la qualité de ses oeuvres philosophiques et ses talents de prosateur, des chercheurs, tel Wladimir Ivanow, penchent pour une bonne formation théologique et profane de l'auteur. Nous ignorons également dans quelle branche religieuse de l'Islam Nasir vit le jour. Si les chercheurs sont unanimes pour dire qu'il n'était pas ismaélien, en revanche, ils sont partagés sur sa confession d'origine. Pour Charles Schefer, il était sunnite, pour Ivanow, rejoint en cela par Henry Corbin, il était chiite duodémain. De plus, ces chercheurs sont également partagés sur la date de conversion de Nasir à l'Ismaélisme. Charles Schefer pense qu'il était encore sunnite lors de son voyage et c'est seulement une fois arrivé au Caire qu'il se convertit à l'Ismaélisme. Ivanow, là aussi suivi par Henry Corbin, pense qu'il était déjà ismaélien avant son départ pour l'Egypte et même que ce départ résulte d'un ordre qui serait venu du Caire lui demandant de se rendre dans la capitale fatimide. Rappelons brièvement que dans les années 1045, date à laquelle Nasir situe son rêve, l'Ismaélisme est au pouvoir en Egypte depuis l'an 969 avec le Califat fatimide. A l'est du monde islamique, dans la région du Khorassan, un nouveau pouvoir se constitue et se renforce très rapidement, celui des Seldjoukides. Il va abattre la dynastie des Ghaznévides, puis en 1055, conquérir Bagdad et mettre fin à la dynastie des Bouyides chiites qui tenait le Califat abbasside sous sa coupe. Les Seldjoukides vont à leur tour mettre le Calife sous tutelle. Ils vont se poser en défenseur du sunnisme et imposer au Calife de légitimer leur pouvoir en leur conférant le titre de Sultan.
Le processus d'adhésion à la foi ismaélienne a dû être pour Nasir un cheminement bien plus complexe qu'il ne veut bien nous le présenter. On peut penser au cas de Hasan Sabbah qui dans son autobiographie nous décrit les tourments intérieurs qu'il vécut avant de franchir le pas et d'embrasser la nouvelle foi. Dans un poème à caractère d'autobiographie spirituelle, une sorte d'ode-confession, Nasir nous conte les difficultés qu'il rencontra au cours de sa quête spirituelle ainsi que les conflits intérieurs qu'il vécut avant de trouver finalement un "remède", comme il le dit, dans la Da'wa (communauté) ismaélienne. Le poème se termine par un éloge à l'Imam, avec des paroles de gratitude et de reconnaissance à celui-ci, ainsi que par le voeu qu'il fait de consacrer désormais pour le restant de ses jours, sa vie et sa plume, au service de l'Imam :
"Où que je sois amené à vivre,
Désormais, jusqu'au dernier souffle de ma vie,
J'utiliserai le qalam, l'encre et le papier,
Uniquement pour t'exprimer ma gratitude,
A toi et à toi seul."
2 commentaires:
Merci pour cet article. Avez-vous trouvé trace du voyage de Khosrau en Syrie où il s'est rendu pour rencontrer le grand poète Maari à Maarat En Noaman ?
Je vous ai répondu sur mon blog
Amicalement
Bonjour Jalel,
Oui, Nasir Khusraw, durant son périple, essayait autant que possible de rencontrer des poètes et des savants. Vous pouvez retrouver l'intégralité du texte du "Livre des voyages" en cliquant sur le lien contenu dans les mots "Safar Name" dans le billet. Amicalement.
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